FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUETE SUR LES
SECTES,
Président : M. Alain Gest,
Rapporteur : M. Jacques Guyard
Députés.
(1) Cette Commission est composée de
: MM. Alain Gest, président, Jean-Pierre Brard, Mme Suzanne
Sauvaigo, vice-présidents, MM. Eric Doligé, Rudy Salles,
secrétaires, Jacques Guyard, rapporteur ; MM. Jean-Claude
Bahu, Pierre Bernard, Raoul Béteille, Mme Christine Boutin,
MM. Jean-Pierre Brard, Jean-François Calvo, René Chabot,
Mme Martine David, MM. Pierre Delmar, Bernard Derosier, Eric Doligé,
Jean-Pierre Foucher, Jean Geney, Alain Gest, Jean Gravier, Jacques
Guyard, Pierre Lang, Gérard Larrat, Claude-Gérard
Marcus, Thierry Mariani, Mme Odile Moirin, MM. Georges Mothron,
Jacques Myard, Mme Catherine Nicolas, MM. Francisque Perrut, Daniel
Picotin, Marc Reymann, Marcel Roques, Rudy Salles et Mme Suzanne
Sauvaigo.
Droits de l'Homme et libertés publiques.
S O M M A I R E
_____
INTRODUCTION
88 membres de la secte des Davidsoniens morts
par suicide ou à l'issue d'affrontements avec la police à
Waco au Texas le 19 avril 1993 ; 53 membres de la secte du Temple
solaire morts suicidés ou assassinés en Suisse et
au Canada le 4 octobre 1994 ; 11 morts et 5.000 blessés dans
l'attentat au gaz perpétré dans le métro de
Tokyo par la secte Aoum le 5 mars 1995 : sans revenir sur des faits
plus anciens - mais tout le monde a encore en mémoire le
suicide collectif des 923 membres du Temple du Peuple au Guyana
en 1978 - voilà, sur moins de trois ans, le bilan des agissements
criminels les plus graves dont se sont rendues coupables certaines
sectes. Lorsque surviennent de tels faits, les media s'empressent
de titrer sur le phénomène sectaire, l'opinion s'émeut
- à juste titre - puis l'attention retombe jusqu'à
l'épisode spectaculaire suivant qui fera l'objet du même
traitement. Mais, pendant ce temps, un certain nombre de sectes
continuent insidieusement à accomplir leurs méfaits
quotidiens dans l'indifférence quasi-générale.
Le rapport rédigé par Alain
Vivien à la demande du Premier ministre et publié
en 1985 sous le titre " les sectes en France : expression de
la liberté morale ou facteurs de manipulation " , qui
présentait une photographie du phénomène sectaire
et en analysait les principaux aspects avant de formuler un certain
nombre de propositions, a eu le grand mérite de constituer
la première étude approfondie et objective sur les
dangers des sectes et d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion
sur une réalité jusque là fort mal connue.
Cela étant, voici maintenant plus de dix ans que ce document
a été réalisé, et force est de constater
que, les mesures qu'il préconisait étant pour la plupart,
malgré leur intérêt et leur simplicité,
restées lettre morte, les sectes continuent de prospérer
en exploitant, pour leur plus grand profit, le désarroi dans
lequel l'évolution de notre société plonge
nombre de nos contemporains, prêts à se laisser abuser
par l'apparente spiritualité d'un discours dont ils ont l'illusion
qu'il peut apporter la réponse à leurs attentes.
Il était donc légitime que
la représentation nationale se préoccupe de prendre
la mesure d'un phénomène dont l'évolution,
depuis le rapport de M. Alain Vivien, est mal connue, d'apprécier
les dangers qu'il fait courir aux individus et à la société,
et de faire le point des mesures nécessaires pour le combattre.
Aussi l'Assemblée nationale a-t-elle, en adoptant à
l'unanimité le 29 juin dernier la proposition de résolution
présentée par M. Jacques Guyard et les membres du
groupe socialiste, créé une commission d'enquête
" chargée d'étudier le phénomène
des sectes et de proposer, s'il y a lieu, l'adaptation des textes
en vigueur " .
Constituée le 11 juillet dernier,
la Commission a décidé, lors de la réunion
qu'elle a tenue le 18 juillet pour organiser le déroulement
de ses travaux, de placer sous le régime du secret l'ensemble
des auditions auxquelles elle procéderait afin de permettre
la plus grande liberté de parole aux personnes dont elle
solliciterait le témoignage. En application de l'engagement
pris auprès des témoins, le présent rapport
ne comportera donc pas en annexe le compte-rendu des auditions qui
ont nourri les réflexions de la Commission, ni même
la liste des personnes qu'elle a entendues. Dans le même esprit,
n'est pas mentionnée dans le rapport l'origine des propos
dont il est fait état.
Vingt auditions ont été effectuées
dans ces conditions, pour une durée globale de vingt et une
heures. Elles ont permis à la Commission de prendre connaissance
des informations, de l'expérience et des analyses de personnes
ayant, à des titres divers, une connaissance approfondie
du phénomène sectaire, qu'il s'agisse de responsables
administratifs, de médecins, de juristes, d'hommes d'Eglise,
de représentants d'associations d'aide aux victimes de sectes,
et, bien sûr, d'anciens adeptes de mouvements sectaires et
de dirigeants d'associations sectaires. La Commission a, par ailleurs,
sollicité le concours de diverses administrations pour tenter
d'affiner au mieux la connaissance du champ de son étude.
Force lui est de constater qu'il a été répondu
à ses demandes avec un empressement et un zèle inégaux.
Si le ministère des Affaires sociales, celui des Affaires
étrangères, la Préfecture de Police de Paris
et, surtout, le ministère de l'Intérieur (Direction
centrale des Renseignements généraux), ont aidé
très efficacement la Commission dans ses recherches et ses
réflexions, le ministère de l'Economie et des finances
(Direction générale des impôts), et le ministère
de la Justice (Direction des affaires criminelles et des grâces)
n'ont en effet transmis que très tardivement les informations
dont ils disposent.
Tel qu'il est présenté dans
le présent rapport, le résultat de l'ensemble des
travaux menés par la Commission décevra ceux qui se
seraient attendus à y trouver des révélations
ou des anecdotes inédites. Elle n'avait pas les moyens, et,
au demeurant, ce n'était pas ainsi qu'elle concevait sa mission,
de se livrer à des recherches ou à des mises en cause
qui relevaient de la compétence des services de police et,
le cas échéant, de la justice. En s'appuyant sur le
travail d'un très grand intérêt réalisé
par la Direction centrale des Renseignements généraux,
sur les recherches et les analyses menées par des spécialistes
de différentes disciplines, enfin, sur les témoignages
oraux ou écrits de personnes ayant elles-mêmes vécu
au sein d'une secte ou dont les proches ont connu ou connaissent
cette expérience, elle a tenté d'appréhender
au mieux une réalité mouvante, complexe et souvent
travestie de faux-semblants.
Comme on le verra, elle a été,
dès l'abord, confrontée à la difficulté
de définir le terme de sectes pour délimiter le champ
de son étude. Néanmoins, elle a choisi de ne pas se
laisser arrêter par ce qui n'est en réalité
qu'un faux obstacle, et de suivre avec persévérance
une démarche empirique que d'aucuns pourraient juger insuffisamment
ambitieuse mais dont la modestie cache un souci de réalisme
et d'efficacité. C'est donc sans esprit de système,
sans a priori d'aucune sorte, et en prenant toujours le plus grand
soin de ne pas procéder à des amalgames abusifs ni
de tomber dans la paranoïa, sans pour autant faire preuve d'angélisme
ou, au moins, de naïveté, que la Commission a tenté
d'apprécier les contours d'un phénomène qui,
bien que difficile à appréhender, semble se développer,
avant de constater qu'il revêt des formes diversifiées
et se caractérise souvent par des pratiques dangereuses,
et, enfin, de dégager les moyens d'une riposte adaptée
à cette dangerosité.
I.--UN PHENOMENE QUI, BIEN QUE DIFFICILE A APPREHENDER SEMBLE SE DEVELOPPER
La Commission a tout d'abord cherché
à apprécier l'ampleur actuelle du phénomène
sectaire et, à la lumière de certaines de ses caractéristiques
ainsi que de son évolution récente, à dégager
les tendances probables de son devenir. Malgré les difficultés
qu'elle a rencontrées à définir le phénomène
faisant l'objet de son étude et à le mesurer, il lui
est apparu qu'il recèle des potentialités d'expansion
qui doivent justifier une vigilance accrue de la part des pouvoirs
publics.
A.- UN PHENOMENE DIFFICILE A DEFINIR
A priori, l'approche du phénomène
des sectes, comme de tout autre, suppose que ce concept soit clairement
défini.
Or, toutes les études, tous les
ouvrages consacrés aux associations dites sectes reconnaissent
la difficulté d'une telle démarche, que la Commission
a mesurée tout au long de ses travaux : en effet, la notion
de secte, particulièrement difficile à définir
dans le langage courant, est totalement inconnue du droit français.
A l'évidence, cette situation n'a
pu que rendre sa tâche plus ardue. Ayant été
confrontée à cette difficulté dès le
début de ses recherches, la Commission n'a pas voulu se laisser
enfermer dans l'alternative à laquelle elle conduit logiquement
: soit tenter de donner une définition juridique à
la notion de secte destinée à servir de base à
la suite de ses travaux, au risque de heurter le principe de la
liberté de conscience, soit considérer qu'elle ne
pouvait valablement continuer à travailler en raison de l'impossibilité
de procéder à une telle définition. Elle a,
avec modestie mais aussi dans un souci d'efficacité, suivi
une démarche empirique, en constatant l'existence d'organismes
divers communément dénommés sectes et en cherchant
à préciser les contours de ce qui peut être
englobé sous cette appellation pour en dégager les
caractéristiques qui peuvent justifier que l'on s'y intéresse,
voire que l'on s'en préoccupe.
1.- L'impossible
définition juridique
L'absence de définition juridique
des sectes en droit résulte de la conception française
de la notion de laïcité.
L'origine de cette conception est à
rechercher dans l'article 10 de la Déclaration des Droits
de l'Homme et du citoyen qui dispose que " nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses,
pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public institué
par la loi " . Les rédacteurs de la Déclaration
ont ainsi clairement posé le principe de la neutralité
de l'Etat, de sa discrétion à l'égard des opinions
religieuses.
Cette attitude doit être complétée
par une approche plus positive, qui confie à l'Etat le soin
d'assurer à chacun le libre exercice de la religion qu'il
a choisie : l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise
ainsi que la France, République laïque, " assure
l'égalité devant la loi des citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion " et qu'elle " respecte
toutes les croyances " . Cette consécration constitutionnelle
récente avait été ébauchée par
le préambule de la Constitution de 1946 qui, quels que soient
les débats relatifs à sa portée juridique,
rappelait l'attachement du peuple français à la déclaration
de 1789 et aux " principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République " .
Le régime juridique des cultes
qui résulte d'une telle conception de la laïcité
est tout entier contenu dans les deux premiers articles de la loi
du 9 décembre 1905 relative à la séparation
des Eglises et de l'Etat, qui disposent que " la République
assure la liberté de conscience ] garantit le libre exercice
des cultes " (art. 1) et qu'elle " ne reconnaît,
ne salarie, ni ne subventionne aucun culte " (art. 2).
Le principe de neutralité de l'Etat
signifie donc que les croyances religieuses ne sont pas un fait
public sous réserve des restrictions liées au respect
de l'ordre public, que le fait religieux relève des seuls
individus, de la seule sphère privée des citoyens.
Ainsi s'explique que l'Etat, fidèle
à son " indifférence " affichée à
l'égard des religions, n'ait jamais donné une définition
juridique de celles-ci. Si la doctrine admet qu'elles se caractérisent
par la réunion d'éléments subjectifs (la foi,
la croyance) et d'éléments objectifs (le rite, la
communauté), nulle définition d'une religion ne peut
être constatée dans le droit positif.
Celui-ci se borne à réglementer
la vie des structures juridiques ainsi que des pratiques sociales
qui constituent le support des religions (associations, cultuelles
ou non, congrégations religieuses) ; il n'opère aucune
distinction juridique entre les différents cultes, n'effectue
aucune discrimination, positive ou négative, entre eux.
On conçoit dès lors l'impossibilité
juridique de définir les critères permettant de définir
les formes sociales que peut revêtir l'exercice d'une croyance
religieuse, a fortiori de distinguer une Eglise d'une secte.
La commission d'enquête a donc été
confrontée dès le début de son activité
au paradoxe de devoir travailler sur un secteur juridiquement inexistant.
Sa position était d'autant plus délicate que, impossible
à définir en droit, la notion est également
difficile à manier dans le langage courant.
2.- L'imprécision
et la diversité des définitions issues du langage
courant
La notion de secte, même dans le
langage courant, n'est pas univoque : différents niveaux
d'analyse ne suffisent sans doute pas à témoigner
de la diversité - et de la richesse - du concept.
a) L'approche
étymologique
Une étude étymologique montre
que le terme " secte " est apparu aux alentours des XIII
- XIVèmes siècles et qu'il peut être rattaché
à deux racines latines : l'une le rattachant au verbe suivre,
l'autre au verbe couper.
Cette hésitation sur l'origine
sémantique imprègne aujourd'hui encore l'ensemble
des dictionnaires.
Significative est la définition
fournie par le dictionnaire Littré, pour qui la secte est
" l'ensemble des personnes qui font profession d'une même
doctrine " ou " qui suivent une opinion accusée
d'hérésie ou d'erreur " .
Le dictionnaire Robert distingue quant
à lui entre les personnes " qui ont la même doctrine
au sein d'une religion " et celles qui " professent une
même doctrine " .
Dans tous les cas, les deux origines supposées
de la notion induisent, simultanément ou alternativement,
les deux idées de croyance commune et/ou de rupture par rapport
à une croyance antérieure.
C'est sur ce concept de rupture qu'insiste
le dictionnaire des religions (PUF, 1984) qui définit la
secte comme " Au sens originel, un groupe de contestation de
la doctrine et des structures de l'Eglise, entraînant le plus
souvent une dissidence. Dans un sens plus étendu, tout mouvement
religieux minoritaire " .
b) L'approche
sociologique
La sociologie fournit quant à elle
une définition de la secte par opposition à celle
d'Eglise. C'est ainsi que Max Weber a procédé pour
préciser ces deux notions l'une par rapport à l'autre
: pour lui l'Eglise est une institution de salut qui privilégie
l'extension de son influence, alors que la secte est un groupe contractuel
qui met l'accent sur l'intensité de la vie de ses membres.
Ernst Troeltsh a poursuivi l'oeuvre de
Weber et souligné que l'Eglise est prête, pour étendre
son audience, à s'adapter à la société,
à passer des compromis avec les Etats. La secte, au contraire,
se situe en retrait par rapport à la société
globale et tend à refuser tout lien avec elle, et même
tout dialogue. Elle a une attitude identique à l'égard
des autres religions, de sorte qu'en ce sens l'oecuménisme
pourrait servir de critère pour distinguer Eglise et secte.
c) L'approche
fondée sur la dangerosité des sectes
Le terme " sectaire " , apparu,
lui, au cours des guerres de religion, est empreint d'une forte
connotation péjorative. Il est appliqué au membre
d'une secte caractérisé par son intolérance,
son adhésion aveugle, son étroitesse d'esprit.
Le langage moderne a été
fortement marqué par cette connotation péjorative
: de nos jours, le terme " secte " fait référence
à des mouvements religieux ou pseudo-religieux d'apparition
récente, minoritaires, sécessionnistes ou non.
Le débat sur les " sectes
dangereuses " ou les " dérives sectaires "
a encore accentué l'aspect péjoratif du concept.
Plusieurs personnalités entendues
par la Commission ont développé devant elle des approches
de la définition des sectes fondées sur la dangerosité
des mouvements. L'une d'entre elles a formalisé ainsi le
résultat de cette démarche, en donnant comme définition
des sectes :
" Groupes visant par des manoeuvres
de déstabilisation psychologique à obtenir de leurs
adeptes une allégeance inconditionnelle, une diminution de
l'esprit critique, une rupture avec les références
communément admises (éthiques, scientifiques, civiques,
éducatives), et entraînant des dangers pour les libertés
individuelles, la santé, l'éducation, les institutions
démocratiques.
Ces groupes utilisent des masques philosophiques,
religieux ou thérapeutiques pour dissimuler des objectifs
de pouvoir, d'emprise et d'exploitation des adeptes. "
Dans une telle optique, l'accent est mis en
outre sur le caractère insidieux de la dérive sectaire,
car il est difficile de tracer une frontière entre le fonctionnement
" légitime " et la zone dangereuse, c'est à
dire entre :
- la libre association et le groupe coercitif,
- la conviction et les certitudes incontournables,
- l'engagement et le fanatisme,
- le prestige du chef et le culte du gourou,
- les décisions volontaires et les choix totalement
induits,
- les recherches d'alternatives (culturelles, morales, idéologiques)
et la rupture avec les valeurs de la société,
- l'appartenance loyale à un groupe et l'allégeance
inconditionnelle,
- la persuasion habile et la manipulation programmée,
- le langage mobilisateur et le néolangage (la "
langue de bois " ),
- l'esprit de corps et le groupe fusionnel.
On mesure à quel point il est,
dans ces conditions, difficile de raisonner de manière objective,
de se situer entre la banalisation et la diabolisation, entre la
cécité et la tolérance abusive d'une part,
la suspicion généralisée d'autre part : c'est
pourtant cette voie qu'a choisi la Commission.
d) La conception
retenue par la Commission
La Commission a en effet constaté
que si la difficulté à définir la notion de
secte a été soulignée par toutes les personnalités
qu'elle a entendues, la réalité visée semble
unanimement cernée, sauf naturellement par les adeptes et
dirigeants des sectes qui nient ce caractère à leur
groupement (tout en pouvant le reconnaître à d'autres)
et préfèrent évoquer les termes d' " Eglises
" ou de " minorités religieuses " .
La Commission n'a pas la prétention
de réussir ce à quoi tous ceux qui travaillent sur
la question des sectes, souvent depuis de nombreuses années,
ne sont pas parvenus, c'est-à-dire donner une définition
" objective " de la secte, susceptible d'être admise
par tous. Les travaux de la Commission s'appuient donc sur un certain
nombre de choix éthiques qu'elle ne cherche pas à
dissimuler.
Parmi les indices permettant de supposer
l'éventuelle réalité de soupçons conduisant
à qualifier de secte un mouvement se présentant comme
religieux, elle a retenu, faisant siens les critères utilisés
par les Renseignements généraux dans les analyses
du phénomène sectaire auxquelles procède ce
service et qui ont été portées à la
connaissance de la Commission :
- la déstabilisation mentale ;
- le caractère exorbitant des exigences financières
;
- la rupture induite avec l'environnement d'origine ;
- les atteintes à l'intégrité physique
;
- l'embrigadement des enfants ;
- le discours plus ou moins anti-social;
- les troubles à l'ordre public ;
- l'importance des démêlés judiciaires
;
- l'éventuel détournement des circuits économiques
traditionnels ;
- les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.
Votre Commission insiste sur le fait que, la
définition des sectes s'avérant à bien des
égards difficile, elle a conduit ses travaux en se gardant
de faire siennes les définitions des sectes proposées
par ses interlocuteurs, par nature engagés, à un titre
ou à un autre dans la promotion des nouvelles religions ou
dans la lutte contre leurs excès - réels ou supposés
--.
Elle a été consciente que
ni la nouveauté, ni le petit nombre d'adeptes, ni même
l'excentricité ne pouvaient être retenus comme des
critères permettant de qualifier de secte un mouvement se
prétendant religieux : les plus grandes religions contemporaines
ne furent souvent, à leurs débuts, que des sectes
au nombre d'adeptes réduit ; bien des rites établis
et socialement admis aujourd'hui ont pu à l'origine susciter
des réserves ou des oppositions.
Le champ de son étude a ainsi été
volontairement restreint à un certain nombre d'associations
réunissant, le plus souvent autour d'un chef spirituel, des
personnes partageant la même croyance en un être ou
un certain nombre d'idées transcendantales, se situant ou
non en rupture avecles religions " traditionnelles " (chrétienne,
musulmane, hindouiste, bouddhiste) qui ont été exclues
de cette étude, et sur lesquelles ont pu, à un moment
ou à un autre, peser le soupçon d'une activité
contraire à l'ordre public ou aux libertés individuelles.
La difficulté de définir
la notion de secte, qui sera pourtant utilisée dans la suite
de ce rapport, a conduit la Commission à retenir un faisceau
d'indices, dont chacun pourrait prêter à de longues
discussions. Elle a donc préféré, au risque
de froisser bien des susceptibilités ou de procéder
à une analyse partielle de la réalité, retenir
le sens commun que l'opinion publique attribue à la notion.
A défaut, elle n'aurait
pu, constatant les difficultés rencontrées lors de
la tentative de définition du phénomène, qu'interrompre
ses travaux. Une telle attitude aurait sans doute dérouté,
et aurait, de plus, empêché que soient analysés
les réels problèmes posés par le développement
d'un certain nombre d'associations.
Difficile à définir, le
phénomène des sectes ne peut de surcroît - mais
aussi de ce fait - être mesuré avec précision.
B.- UN PHENOMENE DIFFICILE A MESURER
Toute tentative de mesure globale du phénomène
sectaire se heurte à un certain nombre d'obstacles, qui doivent
être brièvement évoqués.
L'imprécision entourant la définition
de la notion est bien entendu le premier d'entre eux : comment mesurer
un phénomène dont il n'existe pas de définition
admise par tous ?
Il est en deuxième lieu difficile
de quantifier l'activité des multiples associations gravitant
autour de tel ou tel mouvement, d'assimiler, par exemple, l'auditeur
régulier de conférences organisées par une
association proche d'une secte, à un adepte de cette dernière.
Le choix du critère servant à
mesurer le phénomène est en troisième lieu
lui aussi aléatoire : doit-on retenir le nombre d'adeptes
ou celui des sympathisants, à supposer que l'une et l'autre
de ces deux notions puissent recevoir une définition satisfaisante
? Compte tenu de l'impact familial ou social du phénomène,
doit-on inclure l'entourage des personnes directement concernées
pour apprécier correctement le nombre de " victimes
" ?
Au demeurant, les sectes elles-mêmes ne
sont pas toujours en mesure de quantifier avec une relative précision
le nombre de leurs adhérents. Différents indices permettent
même d'affirmer que certaines d'entre elles le gonflent artificiellement
afin d'accréditer l'idée d'une audience qu'elles n'ont
pas dans la réalité, alors que d'autres le minimisent
volontairement dans le but de ne pas attirer l'attention des pouvoirs
publics.
L'audience réelle des différentes
sectes ne peut, enfin, être mesurée à l'aune
de seuls critères numériques : l'implantation internationale
de la secte, ses capacités financières, sa stratégie
éventuelle d'infiltration contribuent pour beaucoup à
son audience, sa capacité d'ingérence, sa dangerosité.
Ces réserves méthodologiques
posées, il reste toutefois nécessaire d'essayer de
mieux cerner, sur le plan quantitatif, le phénomène
sectaire.
Deux types d'évaluation ont été
communiqués à la mission : l'une résulte des
observations de la Direction centrale des Renseignements généraux;
l'autre, plus indirecte, des études d'un certain nombre d'experts.
1.- L'évaluation
par les Renseignements généraux
Le phénomène sectaire fait
l'objet, depuis une vingtaine d'années, d'un suivi régulier
par les Renseignements généraux. Toutefois, l'actualité
du phénomène et les moyens limités de la DCRG
n'autorisent pas l'exécution fréquente de travaux
de synthèse.
Deux bilans ont à ce jour été
dressés, l'un dans le cadre de l'élaboration du rapport
de M. Alain Vivien " Les sectes en France " , en 1982,
l'autre à la demande de la commission d'enquête.
L'analyse très complète
et très fine à laquelle ont procédé
les Renseignements généraux retient une définition
de la secte fondée sur la dangerosité supposée
des différents mouvements, elle-même déduite
de l'existence d'un ou plusieurs indices parmi les suivants : déstabilisation
mentale, exigences financières exorbitantes, rupture avec
l'environnement d'origine, atteintes à l'intégrité
physique, embrigadement des enfants, discours antisocial, troubles
à l'ordre public, démêlés judiciaires,
détournements des circuits économiques, infiltration
des pouvoirs publics. Sur ces bases, ont été recensés,
dans le cadre de chaque département métropolitain,
les associations remplissant l'un au moins de ces dix critères.
Ils ont de surcroît distingué,
pour chaque mouvement, " l'organisation mère "
des différentes " filiales " qui gravitent autour
d'elle, que celles-ci soient " officielles " (antennes
locales portant le nom de la secte), ou " masquées "
(associations diverses, voire sociétés civiles ou
commerciales).
Les différentes " organisations-mères
" ont, de plus, fait l'objet d'une évaluation quantitative
permettant de les répartir entre celles qui comptent moins
de 50 adeptes, entre 50 et 500 adeptes, entre 500 et 2.000 adeptes,
plus de 2.000 adeptes. Il est à signaler que seul le mouvement
des Témoins de Jéhovah dépasse en France les
10.000 fidèles (leur nombre est évalué à
130.000).
Pour la plupart, les mouvements ésotériques
ou se rattachant à l'anthroposophie (), bien que prédisposant
parfois des individus fragilisés à un " cheminement
sectaire " , n'ont pas été mentionnés,
en raison de leur innocuité objective. De même, l'immense
majorité des groupes se réclamant exclusivement du
Nouvel Age, multiples et à l'audience souvent confidentielle,
ont été exclus de cette étude car se situant
encore aux " franges sectaires " .
L'agrégation, au niveau national,
des résultats obtenus par département permet de tirer
un certain nombre d'enseignements, relatifs au nombre des sectes
en premier lieu, à celui de leurs adeptes en second lieu,
à la dynamique du mouvement enfin.
- les structures sectaires
Le nombre de mouvements recensés
par la DCRG et répondant à l'un des critères
de dangerosité indiqués ci-dessus s'élève
aujourd'hui à 172 pour les " organisations-mères
" . L'inclusion des " filiales " dans l'étude
permet de constater l'existence, en France, d'une véritable
" nébuleuse sectaire " comptant plus de 800
satellites.
Une étude de la répartition
géographique des sectes montre que le phénomène
n'a pas une ampleur uniforme sur le territoire français.
Les organisations mères se
concentrent pour l'essentiel sur quatre grandes régions
(carte no 1) :
- la première englobe l'Ile-de-France
et ses départements limitrophes pour s'étendre
jusqu'à la Manche et une partie de la Bretagne ;
- la seconde irradie autour de l'estuaire de la Gironde
pour toucher le Nord de l'Aquitaine et le Sud de la région
Poitou-Charentes ;
- la troisième dessine le sillon rhodanien pour s'élargir
à la quasi-totalité de la région Provence-Alpes-Côte
d'Azur ;
- la quatrième enfin est circonscrite à
deux départements lorrains, la Moselle et la Meurthe
et Moselle.
A l'inverse, les régions Centre, Nord-Pas-de-Calais,
Maine et Loire, Franche-Comté semblent relativement épargnées.
L'inclusion des " filiales " dans la représentation
cartographique ne modifie pas la représentation du phénomène
sectaire, même si elle accroît l'impression de diffusion
sur l'ensemble du territoire national (carte no 2).
Cette impression est encore accrue
si l'on adjoint à cette dernière représentation
cartographique l'influence représentée par les
Témoins de Jéhovah, dont les lieux de culte (
" salles du royaume " ) sont nombreux dans un certain
nombre de départements peu touchés par le reste
du phénomène sectaire, notamment le Calvados,
le Finistère, les Pyrénées Atlantiques,
le Doubs (carte no 3).
- Les adeptes des sectes
Même s'il est difficile de procéder
à un chiffrage précis, tant il est ardu de distinguer
le véritable adepte du disciple occasionnel ou du simple
sympathisant, les Renseignements généraux estiment
à 160.000 le nombre d'adeptes au moins occasionnels,
et à 100.000 le nombre de sympathisants.
Il est cependant nécessaire
d'affiner ces résultats en faisant valoir que 80 % des
mouvements regroupent moins de 500 adeptes, près de 60
sectes comptant même moins de 50 adeptes. On constate
donc une concentration du phénomène sectaire sur
une quarantaine de mouvements, dont on verra, de surcroît,
que ce sont ceux qui répondent le plus souvent à
un grand nombre de critères de dangerosité.
Les listes suivantes présentent,
classées par ordre alphabétique et pour chaque
classe d'effectifs définie, le nom des mouvements pouvant,
à l'aune des critères définis, être
qualifiés de sectaires.
- Mouvements sectaires de moins de 50
adeptes :
Alliance Rose Croix / Association
Recherches Culturelles
AMPARA
Association Culturelle ALPHA
Association de soutien à l'oeuvre de Sundari - L'Ecole
de l'essentialisme
Association Le Droit de survie
Association spirituelle d'Haidyakhan
Centre d'applications psychiques "Raphaël"
Centre d'épanouissement et aide François de Sales
Centre de développement humain
Centre de thérapie Dalmatie
Clé de l'univers
Club prélude à l'Age d'or
Communauté de la Thébaide
Communauté Les boucheries
Cosmicia
Cosmos - Intuition - Ailes
Dakpo Shampa Kadgyu
Ecole de la préparation de l'évacuation extra
terrestre
Eglise Khristique de la Jérusalem Nouvelle ordre de Raolf,
d'Arnold et d'Osmond
Eglise philosophique Luciférienne
El - Etre son corps
Emissaries of the divine light
Enseignement et thérapie de recherches évolutives
Etre-Exister-Energétique
Fondation Saint-germain
Grande loge souveraine internationale magique et theurgique
de rite égyptien - Cagliostro
Ermitage du Christ de la paix
Imagine
Insight seminars - Innergy
Institut de psychanimie
Institut de recherches psychanalytiques
Institut Frank Natale
Kofuku no kagaku (institut pour la recherche du bonheur de l'homme)
L'arbre au milieu
La nouvelle ère
Le suicide des rives
Landmark education international - Le forum
Le club des surhommes
Le village du verseau
Les amis de la confrérie Saint-Andréas
Les amis de Marie - Les pauvres de Marie
Les croisés de la nouvelle Babylone
Les jardins de la vie
Loisirs et santé - Le corps miroir
Lumière dorée
MAEV
Méthode Sylva de contrôle mental
Ordonnance des scribes scientifiques et des mystères
initiatiques
Ordre des chevaliers de France et de la Trinité Sainte
Ordre du temple universel
Red concept limited
Révélation de la 7ème heure
Sanctuary
Savoir changer maintenant
Shinji Shumeikai France
Spiritual Emergence Network France - Respiration holotropique
Viveka
- Mouvements sectaires de 50 à
500 adeptes :
Amis de la croix glorieuse de Dozule
Arche de Marie
ASPIRAL
Association de défense des libertés d'expression
dans l'institution française (ADLEIF)
Association de méditation en France
Association Nouvelle Acropole France (ANAF)
Association pour l'unification du christianisme mondial
Association pour la promotion des arts industrieux (APPAI)
Association pour la recherche et l'étude de la survivance
(APRES)
Association Vo Vi de France - Amis de la Science du non être
de France
ATHANOR
AZAZEL INSTITUTE INC
Centre d'Etudes Gnostiques
Centre d'information OSHO
Centre de documentation et d'information et de contact pour
la prévention du cancer
Centre de méditation Mahatayana
Centre du cygne Djivana Prana - Source de vie
Centre du Paraclet
Centre international de parapsychologie et de recherche scientifique
du Nouvel Age
Cercle initiatique de la licorne Wicca occidentale
Comètes oxygènes - Le moulin du soleil
Communauté pour la propagation de la vie universelle
Communion de satonnay
Eckankar France
Eija
Energie et création - Energie et créativité
Energy world
Espace culturel Etre maintenant (ECEM)
Etude tradition et recherche en énergétique (ETRE.)
Faculté de parapsychologie
Famille de Nazareth
Fédération française pour la conscience
de Krishna
Fédération internationale pour le développement
de l'alimentation instinctive (FIDALI)
Fondation Elan vital
Harmonie holistique
Humana France - TVIND
Iesu no mitama kyokai (Eglise du Saint Esprit de Jésus)
Institut de recherche physique et conscience
Institut de Saint-Preux
Institut des sciences holistiques de l'Ouest
Institut théologique de Nimes
L'Eglise à Paris
La famille (ex-enfant de Dieu)
La science du mental
La voie de la lumière (unité de recherches pour
l'évolution de la lumière)
La voie internationale
Le grand logis
Lectorium rosicrucianum (Rose-Croix d'or)
Lumière du Maat
Maha Shakti Mandir
Mandala 33
Mission Swmi Atmananda Atma Bodha Satsanga
Mission Timothée
Mouvement humaniste
Office culturel de Cluny - Fédération
nationale d'animation globale
Ogyen Kunzang Choling
Ordo Templi Orientis
Ordre apostolique - Therapeutic healing
environment
Ordre du Graal ardent
Ordre du lys et de l'aigle
Ordre monastique d'Avallon
Ordre rénové du Temple (ORT)
Oxyon 777 (ex-Harmonia)
Paravidya sagesse suprême
Partage international communication
Philosophe de la nature
Reine de la paix - Ordre du coeur immaculé
de Marie et de Saint Louis de Montfort
Reiyukai
Saint Bani
Saman
Seimeikyo Europe
Siderella
Sister mouvement rasta
Société holosophique de France
Star's edge international - Méthode
Avatar
Sukyo Mahikari - Lumière de vérité
Tradition Famille Propriété
Trans-mutations
Venture
Vital Harmony SA
- Mouvements sectaires
de 500 à 2.000 adeptes :
Alliance universelle
ANTHROPOS - Association pour la recherche
sur le développement holistique de l'homme
Association Subud de France - Susila Dharma
France
Association Sri Chinmoy de Paris
Culte Antoiniste
Domaine d'Ephèse
Eglise évangélique de Pentecôte
de Besançon
Eglise universelle de Dieu
Eglises du Christ international en France
Fraternité blanche universelle
Fraternité Notre Dame
Invitation à la vie
L'oeil s'ouvre
La maison de Jean
La parole de foi - Evangélisation
mondiale
Mouvement du Graal en France
Ontologie méthodique culture et
tradition
Paris Dharma Sah - Lotus Sangha of European
social buddhism
Société internationale de
trilogie analytique -sarl-
Union des associations centres et groupes
Sri Sathya Sai
Université spirituelle internationale
des Brahma Kumaris
Vie chrétienne en France - Centre
de vie chrétienne
Viswa Nirmala Dharma - Sahaja Yoga
- Mouvements sectaires
de 2.000 à 10.000 adeptes :
Association Lucien
J. Engelmajer
CEDIPAC SA (ex-GEPM)
Chevaliers du Lotus d'or
Communauté des petits frères
et des petites soeurs du Sacré-coeur
Eglise de scientologie de Paris
Eglise néo-apostolique de France
Eglise universelle du royaume de Dieu
Energie humaine et universelle France -
HUE France
Institut de science vedique maharishi Paris
- C.P.M. - Club pour méditants ( " Méditation
transcendentale " )
Mouvement Raëlien français
Shri Ram Chandra Mission France
Soka Gakkai internationale France
Enfin, le nombre des Témoins de Jéhovah
peut être estimé à 130.000.
- Dynamique du phénomène sectaire
On pourrait a priori penser apprécier
la dynamique du phénomène sectaire en comparant
les deux bilans dressés à treize années
d'intervalle par les Renseignements généraux ().
Un certain nombre de raisons interdisent
toutefois de pouvoir tirer des conclusions significatives d'une
telle comparaison. En effet :
- l'enquête de 1995, à
la différence de celle effectuée en 1982, n'incorpore
pas les résultats de l'enquête (en cours) dans
les DOM-TOM ;
- la moindre sensibilisation des enquêteurs
à la spécificité du phénomène
sectaire n'avait pu, en 1982, permettre d'inclure dans l'étude
les " filiales masquées " ;
- la qualification de certains mouvements
considérés comme sectaires en 1982 (dissidences
chrétiennes, anthroposophie, groupes ésotériques)
a été revue en 1995. A l'inverse, de nouveaux
mouvements ont été qualifiés de sectaires
en 1995 alors qu'ils n'apparaissaient pas comme tels en 1982
(Association Lucien J. Engelmajer, dite " Le Patriarche
" ). La question reste de surcroît pendante pour
des groupements récemment apparus, qui n'ont pas été
retenus en 1995 (Le Groupement, Herbalife).
Seules de grandes tendances peuvent
donc être dégagées, qui peuvent être
synthétisées dans le tableau ci-après :
|
1982 |
1995 |
Nombre de mouvements |
~ 190 |
~ 170 |
Nombre de filiales |
non estimé |
~ 800 |
Nombre d'adeptes |
~100.000 |
~160.000 |
dont Témoins de Jéhovah
|
75.000 |
130.000 |
Nombre de sympathisants |
" 50.000 |
" 100.000 |
La plus importante semble être la multiplication des "
filiales " des mouvements sectaires, beaucoup plus nombreuses
aujourd'hui que celles décelées en 1982, même
si un dénombrement précis n'avait pas alors été
effectué. Comme il a déjà été
dit, le phénomène des " satellites cachés
" était embryonnaire à l'époque et,
de façon générale, les sectes étaient
nettement moins disséminées qu'aujourd'hui. A titre
d'exemple, on mentionnera que, selon la DCRG, près de 60
filiales sont rattachées à l'Eglise de Scientologie.
L'augmentation du nombre de mouvements
sectaires est indéniable. Une étude typologique
(cf. infra) montre que cette augmentation est due pour partie
à la vigueur du courant " Nouvel Age " , qui
a vu le nombre de ses structures considérablement augmenter,
même si celles-ci ne rassemblent qu'un faible nombre d'adeptes.
La progression du nombre d'adeptes
et de sympathisants est considérable puisqu'elle est
de 60 % pour les premiers et de 100 % pour les seconds.
Même si elle ne peut être
mesurée avec une exactitude scientifique, la dynamique
sectaire est donc importante, quel que soit le critère
retenu pour l'apprécier.
Cette appréciation est corroborée
par les constatations, plus indirectes, des experts ayant étudié
le phénomène sectaire.
2.-
L'évaluation par les différents experts
Deux grandes associations ont aujourd'hui
pour objet la lutte contre le phénomène sectaire.
La plus ancienne est constituée
par l'Union Nationale des Associations pour la Défense
de la Famille et des Individus (UNADFI), qui regroupe vingt
associations locales, dont la première fut fondée
en 1974.
C'est sept ans plus tard qu'a été
créé le Centre de documentation, d'éducation
et d'action contre les manipulations mentales (CCMM), à
l'initiative de Roger Ikor, à la suite de la mort de
son plus jeune fils, victime d'une secte.
Il est à signaler que d'autres
experts disposent d'une compétence reconnue sur le phénomène
sectaire : médecins, universitaires, hommes d'Eglise,
journalistes, ils appartiennent aux horizons les plus divers.
Le tableau ci-après récapitule
les estimations fournies sur le nombre d'adeptes de certaines
sectes par un certain ombre d'ouvrages parus entre 1977 et 1987.
Il montre clairement qu'en l'espace de ces dix années,
le nombre supposé des adeptes de chacune d'entre elles
a considérablement augmenté, exception faite de
la Mission de la Lumière divine.
L'UNADFI a par ailleurs communiqué
à la Commission une estimation, pour 1995, du nombre
d'adeptes des principales sectes implantées en France.
Ce recensement partiel fait apparaître, pour la seule
trentaine de sectes citées, qui n'inclut pas les Témoins
de Jéhovah, un nombre d'adeptes supérieur à
120.000. Cette estimation semble donc sensiblement supérieure
à celle des Renseignements généraux, qui
évaluent à 160.000 le nombre des adeptes des quelque
172 groupements qu'ils reconnaissent comme sectes.
Le même écart est perceptible
pour le nombre de structures sectaires, évalué
le plus souvent entre 200 et 300 (un des interlocuteurs de la
Commission a même avancé le chiffre de 1.000).
La déclaration suivante, faite
devant la Commission, traduit bien l'importance estimée
du phénomène sectaire en même temps que
la difficulté à l'appréhender.
" En quantité, il est
très difficile de chiffrer le fait sectaire. Les maximalistes
voient des sectes partout et considèrent qu'il y a des
centaines de milliers de Français qui sont touchés.
Je crois qu'il faut être plus raisonnable. Il y a sans
doute des formes un peu aberrantes de religiosité qui
ne sont pas pour autant des sectes, dont le comportement des
adeptes n'est pas en lui même particulièrement
remarquable, ni même condamnable. Ce que je dirai, c'est
qu'il doit y avoir en France, à l'heure actuelle, entre
200 et 300 sectes qui ont une importance et une audience extrêmement
variées, que ces milieux sont tout à fait instables,
à la fois parce que certaines, comme toutes les organisations
humaines, se développent alors que d'autres meurent,
qu'elles sont influencées par l'étranger, ce qui
signifie que des passages de populations étrangères
s'effectuent et qu'en même temps des Français s'expatrient
dans d'autres sites où la secte est implantée.
Toutes ces associations doivent concerner, directement ou indirectement,
environ un demi-million de Français. Quand je dis ``directement'',
je pense bien entendu aux adeptes eux-mêmes, ceux qui
sont entrés dans une secte et qui en sont sortis, à
la rigueur ceux qui sont sur le point d'y entrer, mais également
tout l'environnement familial et social des adeptes de sectes
qui subit naturellement les répercussions des pratiques
et des comportements sectaires de ceux-ci. "
LES ADEPTES DES SECTES
(1) DANS LES ANNEES 1970 - 1980 : ESTIMATIONS
Nom de la secte
|
Alain Woodrow
|
Claude Petit-Castelli
|
Jean-François
Mayer
|
Janine &
J. Marie Vermander
|
Jean Vernette
René Girault
|
|
Les nouvelles
sectes Seuil 1977
|
Les sectes
: Enfer ou Paradis Ed. de Messine 1977
|
Les Sectes
Nouvelles Cerf 1977
|
Des sectes
Diablement Vôtres Ed. Soceval 1986
|
Des sectes
à notre porte Chalet 1987
|
|
Enfants de Dieu
(Famille d'amour)
|
6.000
|
15.000.000
|
10.243
|
-
|
7.000
|
|
250 à
300
|
-
|
-
|
-
|
200
|
|
Adventistes du 7ème
jour
|
2.500.000
|
-
|
-
|
-
|
4.100.000
|
|
5.000
|
-
|
-
|
-
|
8.400
|
|
MORMONS : Eglise de J.C.
des Saints derniers jours
|
3.500.000
|
4.000.000
|
-
|
3.000.000
|
6.000.000
|
|
10.000
|
-
|
-
|
-
|
15.000
|
|
Témoins de JEHOVAH
|
2.200.000
|
4.000.000
|
-
|
2.000.000
|
3.200.000
|
|
64.019
|
-
|
-
|
15.000
|
92.397
|
|
Antoinistes
|
150.000 en
1900
|
-
|
-
|
-
|
20.000
|
|
-
|
20.000
|
-
|
-
|
2.000
|
|
Scientistes Chrétiens
Christian Science
|
1.500.000
|
-
|
-
|
-
|
1.500.000
|
|
2.500
|
-
|
-
|
-
|
environ :
1.000
|
|
Conscience de KRISHNA
|
5.000
|
17.000
|
-
|
-
|
-
|
|
plusieurs
centaines
|
quelques milliers
|
450
|
-
|
plusieurs
centaines
|
|
Guru MAHARAT JI
Mission de la Lumière Divine
|
7.000.000
|
7.000.000
|
-
|
-
|
16.000.000
|
|
2.000
|
3.000
|
-
|
-
|
1.000
|
|
MOON
Eglise de l'Unification du Christianisme Mondial
|
2.000.000
|
2.000.000
|
de 100.000
à 3.000.000
|
600.000
|
500.000
|
|
1.000
|
-
|
100 à
200
|
-
|
plusieurs
centaines
|
|
SOKA GAKKAI
Nichiren Shoshu
|
20.000.000
|
15.000.000
|
-
|
-
|
7.000.000
(Japon)
|
|
1.000
|
3.000
|
-
|
-
|
6.000
|
|
Méditation transcendantale
|
1.000.000
|
1.500.000
|
2.500.000
|
-
|
-
|
|
90 prof.
|
20.000
|
20.000
|
-
|
40.000
|
|
RAELIENS
|
-
|
-
|
7.200 à
10.000
|
-
|
5.000
|
|
-
|
-
|
2.500
|
-
|
1.500
|
|
SCIENTOLOGIE
|
2.000.000
|
2 à
3.000.000
|
-
|
-
|
1.000.000
|
|
1.000
|
+ 10.000
|
-
|
20.000
|
-
|
2.000
|
Dénombrement
des adeptes de sectes en 1995 par l'UNADFI
Nom de la Secte
|
Adeptes
|
France
|
Monde
|
Alliance universelle
|
1.000
|
2.000
|
Antoinistes
|
2.500
|
200.000
|
Communauté des Chrétiens
|
300
|
80.000
|
Eglise du Christ de Paris
|
700
|
|
Eglise du Christ scientiste
|
800
|
480.000
|
Eglise évangélique
de Pentecôte de Besançon
|
500
|
|
Eglise néo apostolique
|
17.700
|
7.187.000
|
Eglise universelle de Dieu
|
300
|
100.000
|
La Famille (ex Enfants de
Dieu)
|
250
|
12.000
|
Fraternité blanche
universelle
|
20.000
|
|
Krishna
|
1.000
|
80.000
|
IVI
|
7.000
|
|
Longo mai
|
200 + 70 enfants
|
|
Mahikari-Sukyo Mahikari
|
15 à 20.000
|
500.000
|
Mandarom ou Chevaliers du
Lotus d'or
|
2.000
|
|
MT Méditation transcendantale
|
|
3.500.000
|
Moon ou association du Saint
esprit pour l'Unification mondiale
|
500
|
180.000
|
Mormons ou Eglise de Jésus
Christ des Saints des derniers jours
|
25.000
|
8.406.985
|
Mouvement du Graal
|
950
|
9.000
|
Mouvement parti humaniste
|
200
|
|
Nouvelle Acropole
|
10.000
|
|
Raja Yoga ou Organisation
spirituelle des Brahma Kumaris
|
200
|
|
Ram Chandra mission
|
60 précepteurs
pour 600
" Abhiasys "
|
|
Raeliens
|
1.000
|
20.000
|
Sahaja Yoga Matapi
|
200
|
|
Saint Erme
|
350
|
|
Scientologie
|
1.000 + 6.000 clients
|
11.000.000
|
Sokka Gakkai + Nichiren Soshu
|
6.000
|
17.000.000
|
Une mesure indirecte de l'activité sectaire
peut être fournie par l'analyse des appels téléphoniques
reçus par le centre parisien de l'ADFI qui, en 1994, s'est
vu interroger sur les activités de 1.150 associations ou
mouvements. Si cette mesure s'apparente plus à un sondage
qu'à une analyse précise, elle permet toutefois d'apprécier
le prosélytisme des différents mouvements, ainsi que,
probablement, leur audience relative en région parisie
Consultations
reçues par téléphone
dans les locaux de l'ADFI (centre parisien) et
relatives à certains groupes
-
|
1989
|
1990
|
1991
|
1992
|
1993
|
1994
|
|
Scientologie
|
389
|
829
|
976
|
862
|
563
|
414
|
|
Témoins de Jehovah
|
104
|
215
|
345
|
101
|
231
|
236
|
|
G.E.P.M.
|
NR
|
10
|
130
|
300
|
496
|
946
|
|
Nouvelle Acropole
|
20
|
59
|
118
|
125
|
118
|
82
|
|
Sahaja Yoga (Sri Mataji)
|
27
|
38
|
111
|
127
|
36
|
21
|
|
T.F.P. (Avenir de la culture)
|
32
|
89
|
101
|
45
|
26
|
27
|
|
Mandarom (Aumisme)
|
NR
|
NR
|
97
|
<10
|
48
|
42
|
|
I.V.I.
|
73
|
50
|
96
|
88
|
113
|
105
|
|
Sokka Gakai
|
66
|
27
|
82
|
90
|
122
|
90
|
|
Eglise du Christ
|
9
|
25
|
71
|
94
|
95
|
217
|
|
Moon
|
57
|
102
|
65
|
40
|
79
|
41
|
|
Krishna
|
84
|
16
|
57
|
25
|
24
|
31
|
|
Ecoovie
|
79
|
23
|
55
|
34
|
57
|
34
|
|
Rose Croix
|
17
|
15
|
49
|
70
|
65
|
68
|
|
Rael
|
24
|
40
|
44
|
70
|
48
|
110
|
|
Le Patriarche
|
9
|
10
|
40
|
30
|
27
|
70
|
|
Mormons
|
NR
|
12
|
38
|
17
|
31
|
33
|
|
Méditation transcendantale
|
17
|
34
|
26
|
25
|
46
|
36
|
|
Graal
|
|
NR
|
24
|
<15
|
23
|
16
|
|
Pentecôtistes
|
|
NR
|
24
|
|
|
|
|
Hommes d'affaires du plein
Evangile
|
NR
|
NR
|
24
|
<10
|
<10
|
31
|
|
NR : non répertorié.
Source : ADFI Paris
Par ailleurs, les différents
experts auditionnés par la Commission ont, en règle
générale, confirmé qu'au cours des dernières
années, le mouvement sectaire s'est, tant en termes de
structures que de nombre d'adeptes, considérablement
développé, même s'ils ne disposent pas de
données chiffrées précises sur cette tendance.
Au-delà des difficultés
de mesure, il n'apparaît pas contestable que le phénomène
sectaire est aujourd'hui en France bien réel, et qu'il
semble en progression.
Par ailleurs, les caractéristiques
de son évolution laissent présager des potentialités
d'expansion qui ne laissent pas d'inquiéter votre commission.
C.- UN PHENOMENE EN EXPANSION POTENTIELLE
Le phénomène sectaire
a connu depuis quelques décennies d'importantes évolutions
qui influent sur les tendances actuellement constatées
; une appréciation prospective montre de surcroît
la tendance à une expansion potentielle.
1.- Les grandes
tendances actuelles
Il n'est évidemment pas possible
de procéder dans le cadre de ce rapport, dont ce n'est
au demeurant pas l'objet, à une étude historique
du phénomène sectaire, dont les spécialistes
soulignent la permanence dans le temps et l'universalité.
Tite Live dans son ouvrage "
Les sectes religieuses en Grèce et à Rome "
se livrait déjà à un récit circonstancié
de l'affaire des Bacchanales, adeptes du culte de Bacchus.
Sous l'empire romain, les premières
communautés chrétiennes furent persécutées
tant à cause de leur refus du serment à l'Empereur
qu'en raison des accusations de sorcellerie (réunions
nocturnes) ou d'anthropophagie (rite de la communion) dont elles
firent l'objet. Les procès en sorcellerie dont furent
victimes au Moyen-Age jusqu'au début de la Réforme,
près de 100 000 personnes en Europe témoignent
de la persistance du phénomène sectaire. Les religions
chrétiennes ne sont pas la seule source d'exemples :
ainsi l'Islam dont un courant ésotérique est représenté
par le soufisme a-t-il donné naissance à la secte
des Hashishins, qui combattit les Templiers en Terre sainte.
L'évolution récente
du phénomène sectaire permet toutefois de dégager
un certain nombre de grandes tendances relatives respectivement
à la nature des sectes, à leur organisation, aux
thèmes développés par elles, à la
façon dont elles sont perçues enfin.
a) La
nature des sectes
Une étude des sectes actuellement
implantées en France montre que celles-ci se sont installées
en deux vagues bien distinctes.
La première remonte au début
du XXe siècle, qui a vu des mouvements religieux nés
pour la plupart dans des pays anglo-saxons s'enraciner dans
la société française. Témoins de
Jéhovah, Mormons, Pentecôtistes, Adventistes, Baptistes
: tous ces mouvements issus du monde protestant vinrent joindre
leur contestation de la doctrine officielle de l'Eglise à
celle déjà exprimée par des groupes issus
de la mouvance catholique (Antoinistes, adeptes du Christ de
Montfavet).
La seconde vague déferle à
la fin des années 1960, toujours en provenance des Etats-Unis,
mais marquée par une plus grande empreinte orientaliste
d'une part, ésotérique ou gnostique d'autre part.
Relèvent notamment du premier courant l'Association internationale
pour la conscience de Krishna (fondée en 1966), l'Association
pour l'Unification du Christianisme mondial (AUCM, ou secte
Moon) et la Soka Gakkaï.
Au titre du second courant, on citera
les groupes liés à Rose-Croix, l'Eglise de Scientologie
ou l'anthroposophie. D'autres sectes proposant des alternatives
globales fondées sur l'écologie (Ecoovie), la
croyance aux extra-terrestres (Mouvement raëlien), les
techniques de méditation (Méditation transcendantale),
voire la fraternité (Nouvelle Acropole) connaissent également
un essor rapide.
Ce mouvement orientaliste et ésotérique
ne doit pas cependant faire oublier la permanence, voire la
montée en puissance, de mouvements issus du tronc judéo-chrétien,
qu'ils soient millénaristes (Témoins de Jéhovah,
nébuleuse des mouvements du Nouvel Age) ou guérisseurs
(Invitation à la Vie, IVI).
Cette évolution, tracée
à grands traits, permet de dégager un certain
nombre de caractéristiques :
- la prolifération croissante
de ces mouvements, d'origine relativement récente. Aucune
classification ni description ne peut être considérée
comme définitive ou satisfaisante, tant de multiples
mouvements mélangent les genres ou les influences précédemment
définis : si les renseignements généraux
dénombrent avec une relative précision les mouvements
pouvant être qualifiés de " sectes "
, toute énumération en la matière encourt
le reproche d'être incomplète, car par nature limitative
;
- la place croissante que jouent dans
ce mouvement les organisations d'origine confessionnelle entièrement
nouvelles proposant une explication globale du monde, au détriment
des organisations se présentant comme une sécession,
un schisme d'une Eglise précédemment établie
;
- l'évolution dans la nature
du public touché. Les mouvements protestants de la première
vague recrutaient leurs adeptes dans des milieux relativement
défavorisés, chez les personnes adultes, le plus
souvent du sexe féminin. Les organisations s'étant
développées après 1968 sont caractérisées
par la jeunesse et la mixité de leur public, issu en
général des classes moyennes.
Au-delà de ces éléments
relatifs à la nature des sectes, on constate en général
d'autres points communs qui, sans s'appliquer à l'ensemble
des sectes citées ci-dessus, sont néanmoins caractéristiques
d'une évolution de leurs structures et des thèmes
développés par elles : c'est ainsi la façon
dont sont perçues les sectes qui est profondément
modifiée.
b) La
structure des sectes
La plupart des sectes, poursuivant
en cela une évolution depuis longtemps entamée,
sont organisées sur un modèle pyramidal garantissant
l'exercice du pouvoir au profit d'une personne (le gourou) et/ou
d'une élite restreinte.
Comme toutes les structures pyramidales,
elles reposent sur une coupure entre les adeptes de base et
les dirigeants, tempérée par l'existence d'échelons
intermédiaires, dont le nombre se réduit au fur
et à mesure que l'on progresse vers le sommet.
Il s'établit entre ces différents
échelons des liens complexes de dépendance, organisant
la distribution des rôles, du savoir, du pouvoir. Un tel
système garantit l'existence de filtres efficaces restreignant
les voies d'accès au gourou ou à l'élite,
protégés de la base par leur isolement et la symbolique
de leur pouvoir.
Réciproquement, les adeptes
sont récompensés de leur fidélité
par une progression au sein de la secte, matérialisée
par l'obtention de grades et de diplômes, voire par des
bénéfices plus matériels. Le passage à
un échelon supérieur est souvent l'occasion d'une
cérémonie initiatique.
Encore convient-il de souligner que,
dans bien des mouvements, coexistent plusieurs types de structures
pyramidales relatives à l'organisation cultuelle de l'enseignement,
des services administratifs et financiers : cette prolifération
des structures rigidifie encore l'organisation décrite.
c) Les
thèmes développés par les sectes
A la différence des thèmes
développés par les organisations schismatiques
d'Eglises établies, qui se concentrent sur un certain
nombre de critiques et de propositions alternatives de nature
religieuse, le discours tenu par les nouvelles sectes fait une
large place au perfectionnement individuel, préféré
à l'action collective ou profane.
C'est dans cet esprit que sont le
plus souvent promus les thèmes de l'exemple personnel,
du prosélytisme. C'est pour cette raison qu'est souvent
prônée, sous des formes diverses, une certaine
ascèse se caractérisant par l'abstention d'un
certain nombre de pratiques (consommation de tabac et d'alcool),
la promotion de nouvelles habitudes alimentaires ou sexuelles,
voire la réduction du temps du sommeil.
A l'extrême, une telle ascèse
peut conduire à la rupture avec les relations antérieures,
au travail au bénéfice partiel ou exclusif de
la secte, voire à la vie en commun. Une telle attitude
de repli sur soi ou sur un groupe restreint est en contradiction
avec tout engagement extérieur à la secte.
On conçoit que l'évolution
considérable de la nature, des structures, des thèmes
développés par les sectes modifie considérablement
la manière dont elles sont perçues.
d) La
perception du phénomène sectaire
Alors que jusqu'au début des années
1970, les mises en garde contre les sectes étaient avant
tout le fait des Eglises, qui se situaient dans une logique
résolument théologique et pastorale, les débordements
de certaines organisations, les atteintes réelles ou
supposées à l'ordre public ou aux libertés
individuelles, ont contribué à une modification
brutale de la façon dont elles sont perçues.
Ce phénomène s'est traduit
par la constitution d'associations de défense (Centre
Roger Ikor, UNADFI en France) et le développement d'un
contentieux judiciaire relativement important. La gravité
des agissements criminels de certaines sectes (attentats, suicides
collectifs, assassinats) a à juste titre ému les
média et l'opinion publique.
Date
|
Lieu
|
Secte
|
Nombre de morts Circonstances
|
|
18/11/1978
|
Jonestown Guyana
|
Temple du peuple
|
923
|
suicide
|
03/06/1983
|
Smithville (Arkansas)
|
Groupe Comitatus
|
2
|
affrontement
|
15/05/1985 Philadelphie (Pensylvanie)
|
Move
|
11
|
affrontement
|
|
19/09/1985 Mindanao (Philippines)
|
Datu Mangayanon
|
60
|
suicide
|
|
01/11/1986 Wokayama (Japon)
|
Eglise des amis de la vérité
|
7
|
suicide
|
|
28/08/1987 Séoul (Corée
du sud)
|
Park Soon ja
|
32
|
suicide
|
|
21/08/1992 Naples (Idaho)
|
Mouvement Identité
Chrétienne
|
3
|
affrontement
|
|
19/04/1993 Waco (Texas)
|
Davidsoniens
|
88
|
suicide affrontement
|
|
04/10/1994 Suisse Canada
|
Temple solaire
|
48 5
|
assassinats et suicides
|
|
5/03/1995 Tokyo (Japon)
|
Aoum
|
11 morts 5000 blessés
|
attentat
|
|
Source : J.P. MORIN - Futuribles -
Novembre 1994 - Tableau complété pour les événements
postérieurs à 1994.
S'il convient de ne pas surestimer les risques
que se produisent en France de tels débordements, une
vigilance accrue s'impose.
Et si la focalisation médiatique
sur des dérapages extrêmement alarmants ne doit
pas conduire à couvrir d'un même opprobre toutes
les sectes, elle ne doit pas non plus, en mettant en "
valeur " des groupes extrêmement minoritaires, conduire
à sous-évaluer les risques que font peser sur
leurs adeptes des mouvements de grande ampleur et d'une dangerosité
beaucoup plus considérable bien que - et en même
temps, parce que - beaucoup moins évidente.
Cette remarque est d'autant plus importante
que l'on peut aujourd'hui dénombrer un certain nombre
d'indices qui font penser - et craindre - que le phénomène
sectaire a des potentialités de développement
non négligeables.
2.- Les facteurs
d'expansion potentielle
Deux principaux facteurs permettent
d'avancer l'idée d'une expansion potentielle du phénomène
sectaire : les sectes disposent en effet aujourd'hui de moyens
financiers puissants, mis au service de leur prosélytisme
actif ; surtout, elles répondent à des besoins
importants, bien qu'exprimés de manière diffuse.
a) La réponse
à des besoins importants
Il serait faux de présenter
le développement du phénomène sectaire
comme se réduisant exclusivement à la manipulation
de personnalités fragiles par des groupes coercitifs
par l'application de techniques psychologiques éprouvées.
Une telle explication serait singulièrement
réductrice d'un phénomène extrêmement
complexe. La commission a pu constater que le phénomène
sectaire était au contraire indissociablement lié
à l'existence d'une demande, de besoins qui ne trouvent
pas d'autre moyen d'être satisfaits.
Un médecin auditionné
par la Commission, peu suspect de complaisance à l'égard
du phénomène sectaire, a ainsi insisté
sur la complexité de la dialectique entre l'offre et
la demande en ce domaine : " vous rencontrez le meilleur
et le pire dans les sectes (...). Parfois, par le biais des
sectes, des personnes se retrouvent dans un groupe chaleureux,
d'autres redonnent un sens à leur vie, d'autres encore
se structurent. Parmi mes patients, certains sont entrés
dans des sectes. Je ne voudrais pour rien au monde qu'ils en
sortent, car cela leur sert momentanément de tuteur.
Bien entendu, cela ne légitime pas l'ensemble du phénomène,
mais c'est vous dire qu'il y a des aspects très positifs.
Si on ne le comprend pas, on ne comprendra pas davantage le
succès des sectes. Nos contemporains ne sont pas des
imbéciles. S'ils se ruent par centaines de milliers dans
ces mouvements, c'est qu'ils ont des raisons et surtout qu'ils
y trouvent des réponses (...) " .
L'émergence de besoins spirituels
nouveaux résulte de la conjonction d'un certain nombre
de facteurs connus, qui ne seront rappelés ici que pour
mémoire.
Il est certain que la contestation
du productivisme, l'effondrement des idéologies politiques,
les remises en cause du scientisme, du matérialisme,
le déclin continu des religions " traditionnelles
" ont fortement remis en cause le modèle sur lequel
les sociétés occidentales s'étaient développées
depuis le XIXe siècle.
Cet ébranlement des croyances
traditionnelles et des grands principes d'organisation sociale
a suscité nombre de déceptions, de frustrations,
de tentatives de redéfinition. L'incertitude de l'avenir
a dès lors contribué à la multiplication
des groupes proposant une explication globale de l'Homme, de
nouvelles religiosités.
Ce retour du religieux ou, plus précisément,
du spirituel, n'a paradoxalement pas profité aux Eglises
traditionnelles - et plus particulièrement en France
à l'Eglise catholique, toujours confrontée à
une baisse continue de la pratique religieuse et des vocations.
Il n'était évidemment
pas dans le rôle de la Commission de s'attacher à
une étude approfondie de ce phénomène.
Nul cependant, même au sein de l'Eglise catholique, ne
cherche à nier le décalage entre les attentes
des fidèles ou anciens fidèles et le discours
tenu par l'Eglise, même si celle-ci tente parfois de dégager
sa responsabilité en accusant la mentalité contemporaine,
qui vise à la " satisfaction immédiate et
au confort matériel, érige la ``liberté
en absolu'', sans référence à la Vérité
et à des valeurs autres que celles ``de l'individu, du
milieu et du groupe''. Les nouvelles formes de religiosité,
le développement des sectes révèlent les
lacunes de ``l'athéisme pratique'' qui se développe
partout en Europe " . (conclusions du Synode Est-Ouest,
1991).
Il a résulté de l'ensemble
de ces évolutions une certaine spontanéité
spirituelle : la croyance est aujourd'hui vécue de manière
relativement libertaire, en tout cas hors des institutions traditionnelles.
C'est sur ce terreau favorable à
l'éclosion de nouveaux mouvements religieux que sont
intervenus la crise économique et le bouleversement des
structures familiales.
Le Rapport Vivien signalait déjà
" des aspirations à plus de bonheur familial
bien compris ou à plus de plénitude affective
préexistant à l'entrée dans une secte et
cela malgré l'apparence de relations familiales harmonieuses
" . L'entrée dans une secte représente
souvent une réponse sécuritaire à l'expression
de besoins affectifs ou conviviaux qui ne sont pas satisfaits
dans le cadre familial ou celui du travail.
Enfin, l'individualisme des années
1980 a suscité un courant prônant la transformation
personnelle, l'amélioration des capacités de chacun.
Il est rare que ce thème ne soit pas exploité
par les associations sectaires. Ainsi que l'a précisé
à la Commission une des personnalités auditionnées,
" il est vrai que si l'on se mobilise, on augmente ses
capacités. Les troubles fonctionnels légers -
petits maux de ventre, de tête ou rhumatismes - disparaissent
pour peu que l'on ait une forte motivation. Les sectes obtiennent
donc des résultats. C'est vrai que l'on augmente ses
capacités, c'est vrai que si l'on se mobilise autour
de n'importe quoi, même le culte de la betterave, on peut
devenir meilleur, plus fort, plus efficace et plus dynamique
(...). Nous sommes tous tentés de développer notre
potentiel. Qui d'entre nous ne le serait pas ? (...). Les personnes
se ruent dans les sectes parce qu'elles ne trouvent plus dans
le monde que nous leur avons construit les repères, les
moyens de mobilisation, la crédibilité des appareils.
Bien sûr, nous sommes lourdement responsables. On attrape
les mouches avec du vinaigre. Les gens ont besoin d'idéal.
On entre dans une secte avant tout par idéal. Il ne faut
pas se tromper. Les sectes manient une langue de bois que l'on
n'ose même plus pratiquer ailleurs ! " .
On livrera enfin le témoignage
d'un ancien adepte d'une secte, particulièrement révélateur
des raisons pouvant pousser des individus à s'agréer
à de telles structures : " Tout d'abord, je crois
qu'il y a ce mal du siècle, ce mal de vivre qui est de
plus en plus présent. La cellule familiale est souvent
éclatée, le père en particulier est souvent
absent ou, au contraire, trop présent, par sa violence
par exemple. A travers une secte, l'on recherche une famille,
un père d'emprunt, une autorité, un modèle
qui nous a fait défaut. Du jour au lendemain, on se retrouve
avec deux cents, trois cents amis, qui vous recevront, qui vous
accueilleront. Votre couvert sera mis. On vous entendra. Vous
vous sentez en confiance.
Les personnes qui entrent dans
les sectes sont souvent des idéalistes, des personnes
qui recherchent la perfection, pas toujours, mais en partie.
Personnellement, l'éclatement
familial, le désir idéaliste m'ont poussé.
Le gourou nous disait : ``Le monde
va mal''. Il suffit d'allumer la télévision à
l'heure des informations pour s'en convaincre. Il y a des guerres,
des maladies, des problèmes partout. Le monde va mal.
Que peut-on faire à titre individuel pour essayer qu'il
aille mieux ? C'est ce que nous proposait le gourou.
Voulions-nous améliorer
la situation de la terre, de la planète, des autres ?
" Commencez par vous-même, commencez par vous transformer
et vous transformerez le monde " . J'y croyais. Je me transformais
pour transformer le monde " .
On conçoit dès lors
que la vision du monde proposée par les sectes séduise
un nombre croissant d'individus dans toutes les couches de la
population française.
L'hypothèse d'un profil déterminé
préexistant à l'entrée dans une secte et
donc y prédisposant, est aujourd'hui largement battue
en brèche. De nombreuses études ont montré
que le profil psychologique des adeptes des nouveaux groupes
religieux se situe dans une zone normale, même si l'existence
d'un épisode dépressif semble un facteur favorable
à l'attirance pour un groupe sectaire. Ainsi que le relevait
le rapport Vivien, " même si on ne peut conclure
sur l'existence ou non d'un profil de clientèle sectaire,
il semble que des difficultés ou des souffrances aigües
constituent toutefois un terreau propice. "
Il faut de surcroît signaler que le
thème du perfectionnement individuel a attiré
vers les sectes une clientèle qui lui était encore
récemment inaccessible : celle des étudiants (cherchant
à accroître leurs performances pour la réussite
à un examen...), des élites intellectuelles, et
notamment scientifiques.
De nombreux interlocuteurs de la Commission
ont tenté d'expliquer ce phénomène par
la difficulté pour certains scientifiques de supporter
l'idée de doute, et, en conséquence, par leur
attirance pour des mouvements proposant des explications globales.
Par ailleurs, les intellectuels sont pour la plupart convaincus
de leur capacité à résister aux techniques
suggestives des sectes: " Qui davantage qu'un intellectuel
est certain de ne pas être manipulé ? L'homme de
la rue se méfiera, mais l'intellectuel dira : ``je ne
suis pas manipulable''. La vulnérabilité des élites
réside précisément dans la certitude de
ne pas être manipulables. "
Il résulte des précédents
développements qu'il est particulièrement difficile
- pour ne pas dire impossible - de définir un profil
des adeptes des sectes qui soit différent de celui de
la population générale.
Quelques tendances peuvent néanmoins
être dégagées :
- les adeptes sont majoritairement
issus des classes moyennes et aisées de la société,
beaucoup plus rarement des classes modestes, ce qui s'explique
en partie par le souhait des sectes de rencontrer un public
" solvable " ;
- si l'âge des adeptes est extrêmement
variable, deux groupes semblent dominer : celui des jeunes adultes
(25 - 35 ans), dans les sectes orientalistes, gnostiques ou
du Nouvel Age, celui des personnes de 50 - 60 ans dans les groupes
de prière ou de guérison ;
- l'adhésion à la secte
représente souvent une réponse à des conflits
sociaux ou familiaux auxquels le futur adepte est confronté.
Dans le même esprit, il est
à noter que l'Eglise de Scientologie a précisé
à la Commission que " ses adeptes appartiennent
à toutes les catégories sociales. Il s'agit principalement
de gens socialement intégrés et mûrs puisque
leur moyenne d'âge est de 35 ans " .
b) Des
techniques de recrutement de plus en plus sophistiquées
Les techniques de recrutement des
sectes sont aujourd'hui largement connues. Elles ne s'appuient
en aucune manière sur un processus coercitif, à
la différence de certaines méthodes employées
lorsque l'adepte est mieux intégré au sein de
la structure sectaire, et qui conduisent à des pratiques
de " captation de consentement " manifestes, comme
on le verra ci-après. La particularité des méthodes
de recrutement utilisées par les sectes explique la situation
paradoxale du nouvel adhérent d'une secte qui se trouve
être une victime consentante.
Les techniques de recrutement des
sectes s'appuient sur une très grande diversité
de thèmes et d'instruments ; la démarche psychologique
des futurs adeptes est aujourd'hui mieux connue.
Les thèmes de propagande utilisés
par les sectes sont extrêmement divers. On mentionnera,
outre les thèmes religieux :
- les thèmes éthiques : un grand
nombre de sectes se présentent, elles-mêmes ou des
institutions qui leur sont liées, comme des défenseurs
de l' " éthique " . Particulièrement significatif
à cet égard est le journal de l'Eglise de Scientologie
dénommé " Ethique et Liberté "
. Un certain nombre d'associations liées à l'Eglise
de Scientologie agissent officiellement pour le respect des droits
de l'Homme, celui des libertés ou la promotion de la tolérance
: on mentionnera notamment le Comité français des
scientologues contre la discrimination, la commission des citoyens
pour les Droits de l'Homme, le Mouvement pour la Paix en Europe.
L'Association des femmes pour la Paix mondiale, la Fédération
interreligieuse pour la Paix mondiale, l'Association des familles
internationales et Familles et vie dépendent, elles, de
la secte Moon.
- les thèmes écologiques
: la secte " Ecoovie " qui prône ainsi l'exclusion
des acquis contemporains de la vie sociale et économique
et le retour au mode de vie des tribus indiennes primitives, s'est
longtemps fait connaître par les actions de l'association
" SOS Déserts " , qui s'est donné pour
but d'arrêter la progression du désert dans le Sahel.
- les thèmes médicaux : les sectes
guérisseuses, comme l'Association " Invitation à
la Vie " (IVI), affirment le caractère prétendument
curable de maladies pour lesquelles le diagnostic médical
est fort réservé, ou bien concurrencent les services
médicaux de soins palliatifs. Sans rappeler les polémiques
liées aux actions de l'Association Lucien J. Engelmajer
(gestionnaire des centres d'accueil " Le Patriarche "
), il est à noter que nombre de sectes ont développé
des centres de soins pour toxicomanes (Narconon, pour l'Eglise
de Scientologie).
- les thèmes culturels : bien que la
plupart des sectes aient développé des associations
à caractère culturel, on mentionnera plus particulièrement
la Nouvelle Acropole, dont les différentes ANAF (Association
Nouvelle Acropole France) proposent nombre de conférences,
réunions et cycles de formation.
- les thèmes éducatifs : de nombreuses
écoles privées sont liées à des sectes,
et proposent par des publicités affichées sur les
murs des grandes villes un enseignement de soutien ou de rattrapage.
- les thèmes liés à la
transformation personnelle : on a déjà vu toute
leur importance pour les sectes étant apparues après
1968. On signalera ici qu'ils sont essentiellement exploités
par la Faculté de Paraspychologie de Paris, la Scientologie,
la Méditation transcendantale ou la Famille de Nazareth.
- les thèmes liés à l'épanouissement
de la sexualité : ils sont particulièrement exploités
par les sectes Analyse Actionnelle Organisation, la Famille ou
les Raëliens.
Les instruments de propagande utilisés
par les sectes sont eux aussi extrêmement divers : démarchage
dans la rue ou à domicile, diffusion de journaux, publicité
par voie d'affichage ou de presse, conférences, cycles
de formation.
Quels que soient les thèmes
et instruments utilisés par les sectes, la démarche
psychologique du futur adepte semble aujourd'hui mieux connue.
Ainsi que l'indique le Dr Jean-Marie
Abgrall (Le cerveau prisonnier), " le recrutement d'un
adepte passe par trois phases, à partir desquelles l'adhésion
va s'obtenir progressivement, en même temps qu'apparaît
une forme de dépendance intellectuelle et affective.
Tour à tour, le nouvel adepte va être séduit,
persuadé puis fasciné par la secte et ses membres
recruteurs " .
La première phase du recrutement
est évidemment celle de la séduction. Elle vise
à proposer une alternative séduisante aux difficultés
de la vie quotidienne. Il est rare que les futurs adeptes se
présentent spontanément à une structure
sectaire : les premiers contacts ont lieu le plus souvent à
l'initiative des agents recruteurs des sectes, eux-mêmes
jugés à l'aune de l'efficacité de leur
prosélytisme.
Le principe de séduction veut
que le premier contact soit destiné à favoriser
le processus d'identification entre le recruteur et le recruté.
Cette identification repose sur un certain nombre de critères
permettant au futur adepte éventuel de percevoir une
similitude entre lui-même et son interlocuteur. Ce sentiment
peut être obtenu par des ressemblances d'attitude, l'approbation
systématique du bien-fondé des interrogations
exprimées par le futur adepte. La réussite de
cette phase de séduction est bien sûr largement
conditionnée par le choix du public au sein duquel le
recrutement est opéré , et donc celui des lieux
de rencontre, qui sont en général déterminés
en fonction de leur densité de fréquentation.
Le Dr Abgrall précise ainsi qu' " un démarchage
à domicile " (type Témoins de Jéhovah)
utilisera des démarcheurs en famille (père, mère,
enfant, ou présumés tels), la famille recrutante
étant souvent illusoire et constituée sans liens
familiaux réels. L'aspect " jeune cadre dynamique
" des scientologues conviendra mieux au démarchage
dans des cités universitaires, des clubs de gymnastique,
ou des cafés à la mode (...). Qui ne sait reconnaître
les jeunes évangélistes Mormons, aux cheveux coupés
ras, à l'éternel blazer bleu marine et à
la cravate club discrète ? Comment ne pas noter le caractère
bon chic bon genre mais un peu désuet des Témoins
de Jéhovah ?
Tout ceci fait l'objet de choix délibérés,
procédant d'une étude précise de l'image
à transmettre à l'autre. "
Le sentiment d'identification est également
obtenu par le choix des outils utilisés pour la première
prise de contact : si le fameux " test de personnalité
" de l'Eglise de Scientologie peut être proposé
à tout passant paraissant quelque peu désoeuvré,
l'organisation d'un cycle de conférences sur les civilisations
antiques se prêtera plus aux préoccupations des
étudiants des facultés d'histoire qu'à
celles des élèves d'économie, davantage
intéressés par une initiation aux techniques de
communication ou d'amélioration de l'efficacité...
On rappellera enfin que le principe de séduction avait
été poussé dans sa logique ultime par David
Moïse, fondateur de la secte Enfants de Dieu, qui avait
clairement prôné la " pêche par le flirt
" ou " racolage missionnaire " pour recruter
de nouveaux adeptes, et dont le mouvement fut dissous en 1978
pour prostitution.
En tout état de cause, le recruteur
doit disposer d'une bonne capacité à percevoir
le cadre de référence de son interlocuteur, ses
composantes émotionnelles.
La seconde phase du recrutement, une
fois supposés établis des liens de sympathie,
consiste à persuader le futur adepte de la crédibilité
du discours. Lionel Bellanger (La persuasion, PUF, 1985) définit
les " 4 C " de la communication persuasive saine :
pour qu'un message soit persuasif dans l'hypothèse d'un
libre arbitre reconnu à l'éventuel futur persuadé,
il convient que ce message soit crédible (il faut qu'il
puisse s'appuyer sur des preuves), cohérent (absence
de contradiction intrinsèque), consistant (continuité
du propos) et congruent (adéquation entre le message
délivré et l'attente de celui auquel il s'adresse).
L'objectif du recruteur, dans le domaine du prosélytisme,
consiste à faire passer progressivement son interlocuteur
du monde réel à celui des croyances, sans susciter
de phénomène de rejet définitif. Ce passage
progressif s'obtient par la fabulation (travestissement du réel),
la simulation (crédibilisation d'un message erroné),
la dissimulation, la calomnie, l'équivoque, soit un ensemble
de techniques permettant de s'adapter aux attentes de l'interlocuteur,
de passer de la persuasion à la mystification. Ces techniques
parfaitement au point ne sont pas en elles-mêmes répréhensibles
; en tout cas, elles sont à la base des actions de marketing
de tout ordre et ne tombent en rien sous le coup de la loi.
Une des personnalités auditionnées par la Commission
a ainsi présenté la défense qui pourrait
être invoquée par les sectes : " Tout est
manipulation, il n'y a rien à faire. Le commercial, le
politique, le processus amoureux, la discussion démocratique,
la publicité, la télévision, tout vise
à manipuler les personnes. De toute façon, il
ne faut pas s'affoler : tout le monde manipule tout le monde.
" .
On verra que la dangerosité
du discours de persuasion tenu par les sectes ne tient pas tant
aux techniques utilisées, qu'aux conséquences
de l'adhésion à laquelle elles ont conduit.
La dernière composante de la
démarche conduisant à l'adhésion est la
fascination, obtenue le plus souvent lors de la rencontre avec
la pièce maîtresse de la dynamique sectaire (résultats
positifs à un test, assistance à un rite, rencontre
du gourou, etc...), qui introduira le caractère magique
dans la relation entre le futur adepte et la secte, suscitera
l'irruption dans l'univers symbolique de la secte et conduira
à la volonté d'engagement.
Cet exposé rapide des traits
dominants des techniques de recrutement utilisées par
les sectes montre le caractère très particulier
de la démarche, qui vise à obtenir le consentement
exprès du futur adepte ne sont pas des techniques de
coercition mais de persuasion qui sont mises en oeuvre : l'adepte
est formellement consentant.
Plusieurs interlocuteurs de la Commission
ont mis en évidence ce paradoxe : l'originalité
des groupes sectaires réside dans le fait que, notamment
lors du processus aboutissant à l'adhésion, la
victime est acteur. Un certain parallélisme peut être
établi avec la démarche des toxicomanes : "
Nous avons des controverses avec les parents de toxicomanes.
Ceux-ci pensent - d'une certaine façon à juste
titre - que sans l'horrible dealer leur enfant serait un ange.
Ils oublient les neuf dixièmes du trajet qu'a parcouru
le malheureux enfant, responsable ou non, mais de son fait,
pour se rendre dans les bras dudit dealer. Il ne faut pas exclure
la part volontaire de l'adepte, qui n'est pas un imbécile
que l'on manipulerait - c'est vous et moi --, mais (...) qui
s'est rendu délibérément " . Dans
cette optique, les recruteurs des sectes ont pu être présentés
comme des " dealers de transcendance " . A cet égard,
une image utilisée par une personne entendue par la Commission
paraît particulièrement apte à faire comprendre
le caractère conscient de la démarche du futur
adepte : " les sectes ne sont pas un filet qui s'abat sur
des gens, mais une nasse dans laquelle ils se rendent "
.
c) Une
puissance financière
Il est indéniable qu'un certain
nombre de sectes disposent de moyens financiers particulièrement
importants.
Lafayette Ron Hubbard, fondateur de
la scientologie, avait d'ailleurs proclamé, non sans
cynisme, dans son discours de Newark : " Si l'on veut vraiment
devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder
sa propre religion. "
Ce fait est patent, reconnu par la plupart
des dirigeants des sectes auditionnés par la Commission,
même s'ils se sont montrés très évasifs
sur les budgets exacts de leurs associations. Une appréciation
de ceux-ci demeure donc largement le fait de ceux qui s'opposent
aux sectes, et encourt donc le risque d'être jugée
surévaluée. Cela étant, si les sectes estiment
que les informations qui circulent ne sont pas conformes à
la réalité, il ne tient qu'à elles de faire
preuve de la plus grande transparence dans la présentation
de leurs moyens financiers, ce qui est très loin d'être
le cas. Elles auraient dès lors mauvaise grâce
à se plaindre - ce qu'elles ne manquent pourtant pas
de faire - de l'absence d'objectivité des jugements portés
sur leur assise financière.
L'ouvrage collectif du Centre Roger
Ikor " Les sectes, état d'urgence " comporte
de nombreux renseignements permettant de prendre conscience
du véritable empire financier constitué par certaines
associations.
Les cas de la secte Moon ou de la
Scientologie sont trop connus pour être ici rappelés.
Le CCMM estime, concernant la Méditation
transcendentale, que le droit à l'initiation est fixé
au quart du salaire mensuel, que le prix d'un cours de Sidhi
s'élève à 40.000 F.
La même source avance, pour
le mouvement raëlien, une cotisation de 3 % des revenus
annuels nets pour l'admission au mouvement français,
de 7 % pour l'adhésion au mouvement international et
de 10 % pour l'appartenance au gouvernement mondial géniocrate.
La puissance financière de
la Soka Gakkaï se déduit, selon la même source,
des récents investissements immobiliers de la secte (domaine
des Forges à Trets, château des Roches à
Bièvres).
L'importance des sommes en jeu explique
la stratégie de nombreuses associations, qui choisissent
de s'implanter dans des pays dotés d'une législation
fiscale " tolérante " : ainsi en va-t-il des
Etats-Unis (où le premier amendement à la Constitution
est interprété dans un sens extrêmement
libéral), de nombreux Etats d'Amérique du Sud
ou des pays européens anciennement communistes.
Les dirigeants des sectes auditionnés
par la Commission n'ont en général pas nié
cette puissance financière, allant même, non sans
humour ou sans cynisme, jusqu'à affirmer que leurs associations
ne représentent pas des religions prônant la pauvreté
comme vertu.
Ils ont fait en général
valoir :
- que leurs ressources proviennent
des contributions volontaires versées par les fidèles
en contrepartie de certains services (religieux ou non), de
la vente de publications et de dons financiers émanant
de particuliers ;
- que leurs comptes sont approuvés
par des cabinets d'experts-comptables dont la réputation
n'est plus à faire ;
- qu'ils sont en règle avec
l'administration fiscale, ayant le plus souvent accepté
les redressements imposés par l'administration.
Certains dirigeants vont même
jusqu'à reconnaître les liens particuliers les
unissant à des entreprises. Dans la contribution écrite
déposée devant la Commission par l'Eglise de Scientologie
de Paris, on peut ainsi lire : " De plus, comme tout citoyen,
certains scientologues travaillent dans le monde des affaires
et à ce titre dirigent des entreprises privées.
Il leur arrive de soutenir l'Eglise par des dons financiers
mais ceci n'est en aucun cas une obligation. C'est à
la discrétion de la personne.
Enfin, il existe une structure appelée
WISE qui regroupe des entreprises ayant décidé
d'employer la technologie de management de Monsieur Hubbard
et ont pour but de créer un monde des affaires où
règne une plus grande éthique. "
Quant aux anciens adeptes dont la Commission
a auditionné un certain nombre, il ressort de leurs témoignages
:
- que le montant des contributions
excède largement les services rendus... et les moyens
des adeptes, souvent amenés à verser une grande
part de leurs revenus aux sectes, voire à s'endetter
dans des proportions difficilement imaginables ;
- que le caractère volontaire
de ces contributions peut souvent être sujet à
caution, tant l'état de dépendance des donateurs
à l'égard de la secte conduit à s'interroger
sur la permanence de leur libre arbitre ;
- que le mode de vie des dirigeants
laisse présumer que l'intérêt bien compris
de ceux-ci semble parfois primer les buts religieux officiellement
déclarés de leur association.
Une telle situation ne laisse par
d'inquiéter : en effet, les associations affectent d'importants
moyens au prosélytisme et mettent de surcroît en
place des structures juridiques leur permettant d'accroître
les moyens dont elles pourraient bénéficier.
C'est en effet en se fondant sur une
interprétation stricte du caractère cultuel des
associations constituées par les divers mouvements religieux
ou philosophiques que le Conseil d'Etat a jusqu'à maintenant
refusé à certaines d'entre elles le bénéfice
de la possibilité de recevoir des dons et legs.
L'arrêt Association fraternité
des serviteurs du Monde nouveau (CE, 21/01/1983) confirme ainsi
la légalité d'un décret du Premier ministre,
rejetant le recours administratif de l'association contre un
arrêté préfectoral lui refusant l'autorisation
de percevoir un legs en considérant que " admettant
même que l'association (...) ait aussi pour objet l'exercice
d'un culte, il ressort des pièces du dossier qu'elle
se consacre depuis sa création à l'édition
et à la diffusion de publications doctrinales : qu'ainsi
(...) elle n'a pas exclusivement un tel objet, que dès
lors elle n'est pas fondée à soutenir que c'est
à tort que le décret attaqué a confirmé
la décision préfectorale lui refusant l'autorisation
de recevoir un legs . "
Dans un cas de la même espèce
(Association cultuelle de l'église apostolique arménienne
de Paris, CE, 29/10/1990), le Conseil d'Etat, sans même
mettre en avant l'existence d'une activité commerciale,
confirme le rejet de la requête de l'association : "
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de ses statuts...
l'association cultuelle de l'église apostolique arménienne
de Paris a notamment pour but de ``promouvoir la vie spirituelle,
éducative, sociale et culturelle de la communauté
arménienne'' ; que l'association requérante ne
peut, dès lors, être regardée comme ayant
exclusivement pour objet l'exercice d'un culte... " .
C'est pour l'ensemble de ces raisons
qu'un certain nombre d'associations ont choisi de distinguer
au sein de leurs activités plusieurs pôles, en
séparant notamment de leurs activités exclusivement
cultuelles, exercées au sein d'associations cultuelles,
leurs activités commerciales (édition, librairie)
effectuées au sein de sociétés à
responsabilité limitée.
Une telle évolution, au demeurant
parfaitement légale, ne peut toutefois manquer d'inquiéter,
la plupart des associations affichant clairement (et on ne peut,
d'un seul point de vue juridique, le leur reprocher) leur volonté
d'affecter à l'expansion de leur mouvement une large
part de leurs moyens financiers : tous les dirigeants des sectes
entendus par la Commission ont affirmé la vocation de
leur association à se développer et à répandre
leurs croyances par le prosélytisme.
L'importance des moyens dont disposent
un certain nombre d'associations sectaires, dont témoigne
notamment le luxe des documents présentant leurs activités
qui ont été remis aux membres de la Commission,
vient incontestablement renforcer le pouvoir d'attraction des
sectes et augmenter l'efficacité des techniques de recrutement
utilisées.
II.- UN
PHENOMENE MULTIFORME AUX EFFETS COMPLEXES
A.-
UN PHENOMENE DIVERSIFIE
Il est particulièrement difficile
de dresser un tableau complet du phénomène sectaire
en France, en raison de l'extrême diversité des
mouvements qui le composent.
Le rapport de M. Alain Vivien répartissait,
en 1982, les 116 sectes recensées en trois catégories
: orientales, syncrétiques et ésotériques,
racistes et fascistes.
Les Renseignements généraux
ont aujourd'hui adopté une démarche qui permet
d'affiner considérablement l'analyse. On exposera la
méthode retenue par la DCRG et les principaux résultats
de son étude, tels qu'ils ont été communiqués
à sa demande à votre commission.
1.- La méthode
adoptée par les Renseignements généraux
La démarche suivie par les Renseignements
généraux consiste à rattacher chaque mouvement
étudié à une " famille " de pensée
ou de pratique. Treize qualificatifs ont été retenus
pour procéder au classement, qu'il convient, pour la
clarté de l'analyse, de préciser brièvement.
- Analyse des critères de qualification
doctrinale des sectes
- Les groupes " Nouvel Age " .
On a regroupé sous ce qualificatif
les organisations se réclamant du courant néo-spiritualiste
se référant à l'absolu comme " énergie-conscience
" et mettant en oeuvre différentes techniques pour
connecter l'adepte avec cet absolu.
Les doctrines du Nouvel âge
(), popularisées par un grand nombre d'auteurs, reposent
sur l'idée que le monde est sur le point d'entrer dans
une nouvelle ère, celle du Verseau, correspondant à
une nouvelle prise de conscience spirituelle et marquée
par de profondes mutations. Elles se fondent donc sur un millénarisme
pour l'an 2000 (le millenium est le règne de mille ans
attendu avant le jour du Jugement dernier).
Les tenants de ces doctrines ont souvent
pour objectif de définir la nouvelle religion mondiale
destinée, selon eux, à se substituer aux religions
chrétiennes de l'ère du Poisson qui ont elles-mêmes
supplanté les religions mosaïque (ère du
Bélier) et babylonienne (celle du Taureau).
Comme l'indique le dictionnaire des
religions, ces doctrines se fondent sur un certain nombre de
convictions, parmi lesquelles " la réincarnation
et la loi du karma. La réalisation spirituelle comme
objectif de l'existence individuelle et l'éveil à
une conscience planétaire comme objectif de l'existence
collective, la nature divine de la conscience intérieure,
et le rôle du corps comme lieu d'intégration au
cosmique, une anthropologie faisant place au corps subtil, éthérique,
astral; et une cosmologie faisant place aux anges et aux esprits,
la croyance à un Christ cosmique animant l'univers comme
une énergie subtile, et à l'existence d'avatars
christiques, tel Jésus, venant guider périodiquement
l'humanité vers son destin spirituel " .
- Les groupes " alternatifs "
Ils proposent en général une
organisation différente des circuits économiques,
du mode de production, du commerce mondial, des rapports humains.
Le mouvement Humana France (écoles
TVIND) a ainsi pour doctrine l'aide humanitaire (essentiellement
consacrée aux victimes de la famine, de la guerre, de
la maladie, des catastrophes), l'assistance à la promotion
de projets dans le tiers-monde et d'études visant à
contribuer à la recherche sur les causes de la pauvreté
et de la souffrance.
Le Mouvement humaniste, fondé
en 1969 par l'Argentin Mario Rodriguez Cobos, dit Silo, repose,
lui, sur l'idéologie du siloïsme se donnant pour
but d'éradiquer la violence et la souffrance personnelle
par le développement personnel et la transformation sociale.
Celle-ci est axée sur la solidarité, la non-violence
active, la non-discrimination, la lutte contre les monopoles,
les coopératives, l'autogestion.
- Les groupes " évangéliques
" et " pseudo-catholiques " .
On regroupe sous ces deux qualificatifs
les mouvements qui, tout en se référant à
la tradition chrétienne (protestante dans un cas, catholique
dans l'autre) sont réunis autour de personnes (pasteurs,
anciens prêtres) développant une attitude de gourou.
Dans le cas des groupes " pseudo catholiques " , leur
doctrine est le plus souvent tellement éloignée
de la théologie de l'Eglise qu'ils sont exclus de sa
communion.
Parmi les groupes évangéliques
les plus actifs, on peut notamment citer l'Alliance universelle,
l'Eglise évangélique de Pentecôte de Besançon,
la Famille (ex Enfants de Dieu) et, bien sûr, la secte
Moon.
La secte Moon (Association pour l'unification
du christianisme mondial) professe l'échec de Jésus,
mort pauvre et sans avoir pu créer une famille parfaite.
Il revient au révérend Moon de créer cette
famille, conformément au souhait même de Jésus-Christ,
qui lui est apparu en 1936. Pour la réalisation de cet
objectif, le révérend doit notamment acquérir
une puissance économique qui lui permette de vaincre
Satan. Cette organisation est très représentative
des mouvements évangéliques purs.
Parmi les mouvements pseudo-catholiques
les plus actifs, on mentionnera Invitation à la Vie (cf.
infra), ou Traditions Famille Propriété, liée
à l'association " Avenir de la Culture " .
L'objectif de TFP est de restaurer
la civilisation chrétienne (campagnes d'Avenir de la
culture contre le Minitel rose, la distribution de préservatifs,
campagnes de TFP contre les fils Je vous salue Marie, ou la
tentation du Christ) mais aussi de lutter contre la réforme
agraire au Brésil (le fondateur de TFP est le brésilien
Plinio Correa de Oliveira), contre le socialisme et de rétablir
la monarchie.
- Les mouvements " apocalyptiques "
Ils prédisent tous un prochain cataclysme
mondial (tel celui déjà annoncé par les
Témoins de Jéhovah à quatre reprises pour
1874, 1914, 1925 et 1975), en se référant soit
à l'Apocalypse de Saint Jean, soit à la doctrine
hindouiste des cycles.
- Les mouvements " néo-païens
"
Alors que dans la perspective chrétienne,
les païens sont les membres des peuples n'ayant pas été
atteints par la prédication chrétienne ou l'ayant
refusée, la notion de néo-paganisme renvoie, elle,
à celle d'hommes se référant à d'autres
dieux que celui de la Bible.
Les mouvements " néo-païens
" se réfèrent le plus souvent aux mythologies
celtiques ou nordiques, voire à l'animisme.
On citera, pour la France, trois mouvements
professant de telles doctrines : l'Ordre monastique d'Avallon,
le Suicide des Rives et Clé de l'Univers.
- Les mouvements " sataniques "
Ces mouvements ont
pour point commun de rendre un culte à l' " Adversaire
" de la tradition biblique, Satan, dans une démonologie
foisonnante.
Relèvent
de ce courant, les mouvements Azazel Institute, le Cercle initiatique
de la licorne occidentale, l'Eglise philosophique luciférienne
ou les Croisés de la nouvelle Babylone.
- Les mouvements " guérisseurs
"
On peut qualifier de " guérisseuses
" les théories professant un mode de guérison
non reconnu par la science médicale actuelle.
Le degré de dangerosité
de ces théories varie suivant quelles complètent
ou se substituent à des techniques plus scientifiques,
qu'elles entraînent ou non des interactions avec des substances
actives prescrites par des médecins.
Les mouvements
guérisseurs sont extrêmement divers.
Un des plus anciens
est le culte antoiniste, fondé par Louis Antoine à
la fin du dernier siècle. La notion de maladie est niée,
de même que celle de la mort (croyance en la réincarnation)
: c'est l'intelligence qui crée la souffrance, c'est
la seule foi en elle-même qui la supprime, et non l'intervention
des professionnels de santé.
Le mouvement
HUE France (branche française de l'Institute for Human
and Universal Energy Reseach Inc - IHUERI) se rattache, lui,
au courant plus Nouvel âge ou orientaliste. La thérapie
proposée consiste à " injecter de l'énergie
universelle dans l'organisme du patient (...) en débloquant
les canaux d'énergie " , grâce à une
action consistant à maintenir les chakras ouverts. L'ensemble
des pathologies est couvert par les techniques de l'IHUERI.
Plus récent
et d'apparence catholique, le groupe Invitation à la
Vie (IVI) a été fondé en 1977 par Yvonne
Trubert. La doctrine, fondée sur l'affirmation du caractère
bénéfique de certaines " harmonisations "
et " vibrations " , emprunte à de multiples
théories, y compris médicales.
Il est à
signaler que les mouvements guérisseurs recrutent, dans
des proportions non négligeables, parmi les professionnels
de la santé, médicaux ou para-médicaux,
ce qu'un des interlocuteurs de la Commission a expliqué
de la manière suivante : " Aujourd'hui, de nombreux
mouvements - ce n'est pas moi qui prendrai position - les e
classique. Ils cherchent donc des voies nouvelles dans les mouvements
que l'on voit fleurir: en particulier les m amen çêJõai
trouvous sommes en train dõe nouvel arrivant a ainsi
la caution de ses confrante, j'allais dire sur un plan scientifique.
Il entre donc dans la secte, il y dle. Tous les gourous que
j'ai intelligence ! " [?????]
- Les mouvements " orientalistes "
On regroupe sous ce
qualificatif une extrême diversité de mouvements
se référant, tout en les dévoyant, aux
religions et doctrines métaphysiques orientales, tel
le bouddhisme, l'hindouisme ou le taoïsme.
On peut regrouper
dans ce courant l'Association Sri Chinmoy de Paris, le Centre
de méditation Mahatayma, la Fédération
française pour la conscience de Krishna, Maha Shakti
Maudir, la Mission Snimi Atmananda Afma Bodha Satsanga, la Shi
Ram Chandra Mission, et bien sûr la Soka Gakkaï.
La Soka Gakkaï
prétend enseigner (malgré le schisme de 1990 avec
Nichiren Shôshû) la doctrine de Nichiren, moine
bouddhiste du XIIIe siècle qui professait une version
nationaliste et intolérante du bouddhisme. L'accès
à la paix et au bonheur est garanti au fidèle
qui respecte un certain nombre de pratiques, parmi lesquelles
la récitation gonkyo de certains chapitres du Sûtra
du Lotus, la récitation daïmoku de la formule sacrée
d'adoration, la dévotion au mandala, rouleau où
s'inscrivait cette invocation. La Soka Gakkaï se pose comme
une religion universelle, qui unifiera le bouddhisme et la société.
- Les mouvements " occultistes "
On désigne par
occultisme la croyance en l'existence et en l'efficacité
de pratiques (le dictionnaire Robert évoque notamment
l'alchimie, l'astrologie, la cartomancie, la chiromancie, la
divination, la magie, la nécromancie, la radiesthésie,
la télépathie) qui ne sont reconnues ni par les
religions, ni par la science, et requièrent une initiation
particulière.
Alors que l'ésotérisme
postule l'existence d'une tradition primordiale de l'Homme qui
ne lui aurait pas été révélée
et qui ne peut être connue que par l'enseignement, l'occultisme
est la recherche de pouvoirs magiques initiatiques. Il existe
néanmoins d'innombrables passerelles entre les deux courants
qui autorisent certains à parler d'un courant d'ésotéro-occultisme.
Pour ceux-ci,
l'Homme est formé de trois principes (le physique, l'astral
et le divin) dont l'équilibre a été rompu,
et qu'il convient de restaurer par l'initiation, qui permet
de rétablir un lien entre le visible et l'invisible,
ce que l'on perçoit et ce qui échappe aux sens.
Relèvent
de ce courant aux pratiques les plus diverses le mouvement d'otonlogie
méthodique Culture et Tradition, l'Association Nouvelle
Acropole France (ANAF), la Rose-Croix d'Or, l'Ordonnance des
Scribes Scientifiques et des Mystères Initiatiques.
En relevait également
l'Ordre du Temple Solaire, fondé en 1984 par Luc Jouret
et dont les activités ont tragiquement pris fin le 5
octobre 1994 (massacres de Morin Heights et de Fribourg, au
Canada et en Suisse).
Les mouvements
" psychanalytiques "
Difficile à
cerner, le mouvement " psychanalytique " développe
diverses techniques parapsychologiques prétendant guérir
l'inconscient de traumatismes divers.
La Faculté
de Parapsychologie, la Famille de Nazareth (fondée sur
l'enseignement de la psychologie existentielle, confondant les
rôles du psychothérapeute et du maître spirituel)
sont des représentants de ce mouvement, dont l'Eglise
de Scientologie est cependant l'élément dominant.
Une publication
de l'association, diffusée à l'occasion du quarantième
anniversaire du mouvement, présente ainsi la doctrine
de la Scientologie :
" La
scientologie comprend un ensemble de connaissances qui proviennent
de certaines vérités fondamentales. Parmi les
premières de ces vérités sont les suivantes
:
L'homme
est un être spirituel et immortel.
Son
expérience va bien au-delà de la durée
d'une vie.
Ses
capacités sont illimitées même si elles
ne sont pas réalisées dans le présent.
De
plus, la Scientologie considère que l'homme est fondamentalement
bon et que son salut spirituel dépend de lui-même
et de ses semblables ainsi que de l'accomplissement de sa fraternité
avec l'univers. Ainsi, la Scientologie est une philosophie religieuse
au sens le plus profond du terme, car elle se préoccupe
de la réhabilitation complète de l'identité
spirituelle innée de l'homme - ses aptitudes, son état
de conscience et la certitude de sa propre immortalité.
En outre, étant donné que la religion s'intéresse
à l'esprit par rapport à lui-même, à
l'univers et aux autres formes de vie, et est essentiellement
la croyance en des êtres spirituels, la Scientologie suit
une tradition religieuse qui remonte au moins aussi loin dans
le temps que l'humanité. Et pourtant, ce que la Scientologie
représente somme toute est nouveau. Sa technologie religieuse
est nouvelle, son organisation ecclésiastique est nouvelle,
et sa signification pour l'homme du Xxème est entièrement
nouvelle (...).
Le premier moyen d'appliquer les
vérités fondamentales de la Scientologie à
la réhabilitation de l'esprit humain s'appelle l'audition.
Il s'agit là de la pratique centrale de la Scientologie
et elle est administrée par un auditeur, du latin audire,
" celui qui écoute " . (...).
Les auditeurs de la Scientologie
aident des individus à atteindre ce but en leur faisant
examiner leur existence par le biais d'une série d'étapes
soigneusement conçues par Ron Hubbard. En suivant ce
processus graduel, ces personnes peuvent améliorer leur
capacité à faire face à ce qu'elles sont
et à leur environnement - en retirant une à une
les couches d'expérience qui les oppriment si pesamment.
L'audition n'est donc pas une chose
qu'une personne subit. On ne peut en tirer de bienfaits qu'au
moyen d'une participation active et une bonne communication.
L'utilisation de l'électropsychomètre,
ou électromètre, par les auditeurs est propre
à la religion de Scientologie et unique en son genre-
ainsi que révolutionnaire dans le domaine du développement
spirituel. Les auditeurs utilisent l'électromètre
pour aider à localiser les zones de détresse ou
de souffrance spirituelle qui existent au-dessous du niveau
de conscience actuel de la personne. Lorsque ces zones pénibles
sont mises en évidence, la personne peut alors les examiner
sans les influences subjectives qui accompagnent les pratiques
du conseil spirituel des autres religions.
Ron Hubbard a mis au point l'électromètre
en sachant que l'esprit retient des images mentales, de véritables
enregistrements d'expériences passées. Ces images
renferment de l'énergie et de la masse. Lorsqu'une personne
regarde l'une de ces images mentales ou pense à quelque
chose, l'électromètre enregistre avec précision
les changements que subissent cette masse et cette énergie
mentales. (...)
La Dianétique a annoncé
la découverte d'une partie jusqu'alors inconnue et néfaste
du mental qui contient beaucoup d'enregistrements d'expériences
de douleur et d'inconscience, sous forme d'images mentales.
Celles-ci se trouvent en dessous du niveau de conscience d'une
personne et leur ensemble compose ce qu'on appelle le mental
réactif - la source de toutes les craintes, les émotions,
les douleurs et les maladies psychosomatiques indésirables.
Etape par étape, l'audition agit sur le mental réactif
jusqu'à ce que son contenu soit révélé
et que ses effets néfastes sur l'individu soient supprimés.
Quand cela s'est produit on a atteint un nouvel état
d'être que l'on appelle en Scientologie état de
Clair. La personnalité fondamentale d'une personne, ses
aptitudes artistiques, sa force personnelle et son caractère
individuel, la bonté, l'honnêteté qui lui
sont inhérents sont rétablis.
Clair est un nouvel état
pour l'homme, mais le Pont le conduit à des sommets de
liberté spirituelle encore plus élevés.
Au-delà de l'état de Clair apparaissent les niveaux
de Thétan Opérant (OT, en anglais Operating Thetan).
Le thétan est l'être spirituel immortel, l'individu
lui-même, non pas son corps ni son mental, ni quoi que
ce soit d'autre. Il ne s'agit pas de ce qu'il a, mais de ce
qu'il est, un état de fait qui se révèle
clairement à ces niveaux supérieurs.
L'état de Clair vise à
l'élimination de ce qui n'appartient pas de manière
inhérente à l'être spirituel lui-même.
Le but du Thétan Opérant est de vaincre les souffrances
de l'existence et de retrouver la certitude et les aptitudes
de son état d'être spirituel premier. A ce niveau,
il sait qu'il est bien séparé des choses matérielles
telles que la forme physique et l'univers physique. (...)
Une autre pratique fondamentale
de la religion de Scientologie est la formation ou entraînement
- l'étude des principes de la Scientologie. La religion
de Scientologie offre de nombreux cours d'entraînement
parce qu'une personne peut, comme on l'a dit, se servir des
vérités découvertes en Scientologie pour
améliorer les conditions de chaque domaine de la vie.
Cela dit, les cours d'entraînement les plus importants
sont ceux qui permettent de devenir auditeur. Ceci parce que
le principe premier pour tous les cours est que la Scientologie
est une philosophie religieuse appliquée, et tout l'entraînement
insiste sur l'application.
Le chemin emprunté par le
scientologue qui reçoit de l'audition et étudie
les écrits de Scientologie appelle Le Pont. Ceci donne
corps à un concept ancien - une voie imaginée
depuis longtemps qui relie l'abîme existant entre l'état
actuel de l'homme et des niveaux de conscience beaucoup plus
élevés. Le Pont se compose d'étapes graduelles
pour que les bénéfices acquis soient progressifs,
prévisibles et apparents. (...)
Voici donc l'essence de la Scientologie
: Le Pont, l'audition et l'entraînement ; et ceux-ci ont
lieu chaque jour de l'année dans toutes les églises
de Scientologie du monde entier. La mission de la Scientologie
n'est ni plus ni moins que la réhabilitation de l'esprit
humain. Et quatre décennies après la naissance
de l'Eglise, c'est cette aptitude à atteindre ce but
qui remonte à la nuit des temps qui fait que de plus
en plus d'hommes et de femmes de tous les milieux et cultures
se tournent vers la Scientologie. "
Les mouvements " ufologiques "
L'ufologie est la croyance en la pluralité
des mondes habités et à la réalité
des visiteurs de l'espace : elle postule en d'autres termes
l'existence d'extra-terrestres.
L'association la plus connue de ce
courant est sans conteste le mouvement Raëlien.
Le mouvement Raëlien a été
fondé en 1975 par Claude Vorilhon. Celui-ci aurait été
contacté en 1973 par le président du conseil des
Eternels afin qu'il répande, en tant que prophète,
la nouvelle religion athée. Celle-ci repose sur la croyance
de l'existence des Elohim, habitants d'une planète située
à neuf milliards de kilomètres et créateurs
scientifiques de toutes les formes de vie sur terre. Ceux-ci
lui auraient révélé la véritable
signification des événements relatés dans
la Bible (la baleine de Jonas était un sous-marin atomique,
la tour de Babel une fusée spatiale) et inspiré
son message, fondé sur la remise en cause du système
démocratique au profit de la " géniocratie
" , la hiérarchie des races humaines et la promotion
de valeurs eugénistes. La " méditation sensuelle
" , qui permet d'atteindre l'orgasme cosmique, constitue
l'une des pratiques prônée par les Raëliens,
toujours en quête d'un lieu - et de ressources - propice
à l'édification d'une ambassade où les
Elohim viendront prendre contact officiellement avec les hommes.
Les mouvements syncrétiques
On a regroupé sous le terme
" syncrétique " l'ensemble hétérogène
des mouvements présentant une synthèse entre les
différentes religions, y compris primitives, voire entre
les traditions orientale et occidentale.
Ce courant regroupe des mouvements
extrêmement divers, comme le domaine d'Ephèse,
la Seimeikyo Europe, l'Association de méditation en France.
Les deux associations regroupant le
plus grand nombre d'adeptes sont sans doute les Chevaliers du
Lotus d'Or et la Fraternité Blanche Universelle.
Fondée par Omraam Mikhaël
Aïvanhov en 1947, cette dernière se présente
comme une école initiatique proposant un ésotérisme
syncrétique, fondée sur l'adoration du Soleil,
les lois du karma et la " galvanoplastie spirituelle "
.
L'Association des Chevaliers du Lotus
d'Or a été fondée par Gilbert Bourdin en
1967. Elle a pour principale doctrine l'aumisme, qui professe
que la première parole de Dieu à l'origine de
la création de l'Univers fut " Aum " . Il en
résulte que les Chevaliers se livrent à une pratique
consistant à transmettre le son " om " des
millions de fois ou à réciter le mautra "
Om Ah Hum " censé neutraliser les vibrations des
forces occultes. Cette nouvelle mystique universelle et syncrétiste
capable d'unir l'orient et l'occident a pour but de sauver la
terre et le cosmos de l'autodestruction pour que s'installent
l'Age d'Or et sa nouvelle société.
Gilbert Bourdin, alias le Christ-roi
de la Nouvelle Alliance, alias Hamsah Manarah, alias Melkisedeg
s'est proclamé en 1990 " Messie cosmoplanétaire
" , après une longue suite de combats contre une
multitude d'ennemis. La cité sainte du Mandarom est installée
à Castellane.
Pour une analyse plus fine encore,
les Renseignements généraux ont, le cas échéant,
complété le " type dominant " par un
" type associé " , retenu parmi les mêmes
critères déjà exposés.
- Les notions de types " dominant
" et " associé "
Cette analyse conduit, par exemple, à
distinguer au sein du mouvement du " nouvel âge "
, les sectes ne pouvant se réclamer que de cette seule
mouvance de celles dont la doctrine emprunte certains de ses
éléments aux courants " guérisseur
" , " syncrétique " ou " orientaliste
" .
De la même manière, on peut,
au sein des mouvements apocalyptiques, distinguer les mouvements
" évangéliques " de ceux plus "
orientalistes " .
A côté des Témoins
de Jéhovah dont la doctrine est trop connue pour qu'il
soit nécessaire de la rappeler ici, l'Eglise universelle
du Bien est une autre secte du type " apocalyptique/évangélique
" . Fondée par l'américain Herbert W. Armstrong
(1892-1896), elle s'est développée en Europe dans
les années 1950. Sa doctrine repose sur " l'anglo-israélisme
" , selon lequel les véritables israélites,
descendants des dix tribus d'Israël, sont les Anglo-saxons
et les européens de l'Ouest. La restauration de l'Eglise
anglo-israélienne impose de reconnaître en la reine
d'Angleterre l'héritière légitime du roi
David. Celle-ci devra néanmoins céder son trône
au Christ à l'occasion du retour sur terre de celui-ci.
L'université spirituelle internationale
des Brahma Kumaris est, elle, plus représentative du
courant orientaliste des sectes apocalyptiques. Fondée
par Brahma Baba Lekk Raj, l'Université annonce l'imminence
de l'holocauste nucléaire et de la survenance du monde
futur. La paix intérieure de l'Homme résulte,
dans l'attente de cet événement, d'un certain
nombre de pratiques, au rang desquelles le Raja-Yoga.
Il est précisé que dans
l'hypothèse - très fréquente - où
des sectes ne peuvent être rattachées à
un unique courant de pensée, les Renseignements généraux
ont eu tendance à considérer comme dominant le
type auquel est attaché, empiriquement et implicitement,
le plus fort degré de dangerosité. Ainsi, les
critères " apocalyptique " , " guérisseur
" , " psychanalytique " et " satanique "
sont-ils le plus souvent retenus prioritairement devant les
neuf autres types possibles qui pourraient être décelés
pour la secte considérée : telle secte dont le
nom évoque spontanément la mouvance orientaliste
(Sri Sathya Sai par exemple) sera ainsi classée comme
relevant du courant " guérisseur " dans la
mesure où certains éléments de son discours
sont manifestement thaumaturges.
2.-
Les résultats de l'enquête
L'analyse réalisée sur
ces bases par les Renseignements généraux et communiquée
à votre commission permet d'une part de procéder
à la répartition des sectes entre les courants
de pensée, d'autre part de dégager les grandes
lignes de l'évolution du mouvement sectaire.
- Répartition des sectes entre les
courants de pensée
La répartition des sectes par
type dominant fait apparaître le poids prépondérant
du courant " Nouvel Age " . Parmi les sectes retenues
dans l'étude des Renseignements généraux
(173 au total), 49 relèvent du courant " Nouvel
âge " , 19 du courant " orientaliste "
, 18 du courant " guérisseur " , 16 du courant
" occultiste " , 15 du courant " apocalyptique
" , 13 du courant " évangélique "
. Les catégories " pseudo-catholique " , "
psychanalytique " et " syncrétique " regroupent
chacune 9 mouvements. Enfin, les courants " ufologique
" (5 mouvements), " alternatif " (4 mouvements),
" satanique " (4 mouvements) et " néo-païen
" (3 mouvements) sont nettement minoritaires.
Sur les 173 mouvements étudiés,
69 sont rattachés à un unique courant de pensée.
Une étude de la répartition des " types associés
" sur les 104 autres sectes montre la prédominance
du critère " guérisseur " (cité
46 fois) et du critère " nouvel âge "
(20 cas). Les autres types associés ne sont évoqués
que moins de 10 fois.
On constate toujours, si l'on raisonne
en termes de nombre de structures, une très grande diversité
au sein du mouvement sectaire : l'application des deux critères
" type dominant " et " type associé "
conduit à recenser 56 catégories de sectes...
Aucune de ces catégories ne regroupe plus de cinq mouvements,
à six exceptions notables :
- le mouvement " Nouvel Age/guérisseur
" regroupe vingt mouvements, dont le nombre d'adeptes est
toutefois faible (à l'exception de Hue-France).
- le mouvement " Nouvel Age "
pur regroupe dix-sept mouvements à l'audience relativement
confidentielle (moins de 500 adeptes) ;
- le mouvement " orientaliste
" pur comprend neuf structures, dont certaines regroupent
un nombre élevé d'adeptes (Sri Chinmoy, Shri Ram
Chandra, Soka Gakkai) ;
- le mouvement " évangélique
" pur réunit huit mouvements d'audience limitée
;
- le mouvement " guérisseur
/ Nouvel Age " regroupe six structures d'audience limitée
;
- le mouvement " évangélique/guérisseur
" , bien que peu nombreux (5 groupes) dispose lui d'une
audience forte puisqu'il regroupe l'Alliance universelle, l'Eglise
évangélique de Pentecôte de Besançon,
l'Eglise néo-apostolique, la Parole de foi et Vie chrétienne
en France.
Une étude restreinte aux seules
sectes dont le nombre d'adeptes est relativement important (supérieur
à 500) conduit toutefois à relativiser l'impression
de la forte prévalence des sectes de type " Nouvel
Age " ou " Guérisseur " .
Typologie
des sectes dont le nombre d'adeptes est supérieur à
500
Nom de la secte
|
Type dominant
|
Type associé
|
Alliance universelle
|
Evangélique
|
Guérisseur
|
ANTHROPOS - Association pour
la recherche sur le développement holistique de
l'homme
|
Nouvel Age
|
Guérisseur
|
Association des Témoins
de Jéhovah
|
Apocalyptique
|
Evangélique
|
Association Lucien J. Engelmajer
|
Guérisseur
|
Psychanalytique
|
Association SRI Chinmoy de
Paris
|
Orientaliste
|
|
Association Subud de France
- Susila Dharma France
|
Orientaliste
|
Syncrétique
|
CEDIPAC SA (ex-GEPM)
|
Evangélique
|
|
Chevaliers du Lotus d'or
|
Syncrétique
|
|
Communauté des petits
frères et des petites soeurs du Sacré-coeur
|
Pseudo-catholique
|
|
Culte Antoiniste
|
Guérisseur
|
Syncrétique
|
Domaine d'Ephèse
|
Syncrétique
|
Nouvel Age
|
Eglise de scientologie de
Paris
|
Psychanalytique
|
Guérisseur
|
Eglise évangélique
de Pentecôte de Besançon
|
Evangélique
|
Guérisseur
|
Eglise néo-apostolique
de France
|
Evangélique
|
Guérisseur
|
Eglise universelle de Dieu
|
Apocalyptique
|
Evangélique
|
Eglise universelle du royaume
de Dieu
|
Guérisseur
|
Evangélique
|
Eglises du Christ international
en France
|
Apocalyptique
|
Evangélique
|
Energie humaine et universelle
France - HUE France
|
Nouvel Age
|
Guérisseur
|
Fraternité blanche
universelle
|
Syncrétique
|
Guérisseur
|
Fraternité Notre Dame
|
Pseudo-catholique
|
|
Institut de science vedique
maharishi Paris - C.P.M. - Club pour méditants
|
Orientaliste
|
Guérisseur
|
Invitation à la vie
|
Pseudo-catholique
|
Guérisseur
|
L'oeil s'ouvre
|
Apocalyptique
|
Guérisseur
|
La maison de Jean
|
Nouvel Age
|
Syncrétique
|
La parole de de foi - Evangélisation
mondiale
|
Evangélique
|
Guérisseur
|
Mouvement du Graal en France
|
Guérisseur
|
Occultiste
|
Mouvement Raëlien français
|
Ufologique
|
Guérisseur
|
Ontologie méthodique
culture et tradition
|
Occultiste
|
Ufologique
|
Paris Dharma Sah - Lotus
Sangha of European social buddhism
|
Orientaliste
|
Guérisseur
|
Shri Ram Chandra Mission
France
|
Orientaliste
|
|
Société internationale
de trilogie analytique
|
Psychanalytique
|
Guérisseur
|
Soka Gakkai internationale
France
|
Orientaliste
|
|
Union des associations centres
et groupes Sri Sathya Sai
|
Guérisseur
|
Orientaliste
|
Université spirituelle
internationale des Brahma Kumaris
|
Apocalyptique
|
Orientaliste
|
Vie chrétienne en
France - Centre de vie chrétienne
|
Evangélique
|
Guérisseur
|
Viswa Nirmala Dharma - Sahaja
Yoga
|
Orientaliste
|
Apocalyptique
|
On constate que les courants " orientaliste
" , " évangélique " et " apocalyptique
" regroupent respectivement 7, 6 et 5 mouvements, alors que
le courant " Nouvel Age " n'en comprend que 3.
Par ailleurs, si le courant " guérisseur
" ne réunit que cinq sectes, ce critère est
cité 15 fois au titre du type associé.
Le travail effectué par les Renseignements
généraux fournit, outre cette photographie du phénomène
sectaire, des éléments permettant de suivre son
évolution sur moyenne période.
- Evolution typologique du phénomène
sectaire
Il est possible de dégager
les quelques grandes tendances suivantes dans l'évolution
du phénomène sectaire.
- Le " Nouvel Age " semble
responsable du recul des " alternatifs " et prépare
peut-être le développement des " Apocalyptiques
" .
Le " Nouvel Age " , courant
spirituel et philosophique " fourre-tout " , importé
des Etats-Unis au milieu des années 80, est le premier
vainqueur de la compétition sectaire à l'approche
du troisième millénaire. Actuellement, il se crée
presque chaque jour de nouveaux groupuscules ou réseaux
consacrés à l' " ère du Verseau "
alors que, dans le même temps, des sectes importantes
et déjà anciennes (FBU, Nouvelle Acropole...)
tentent de " rafraîchir " leur doctrine en y
incorporant des thèmes " new-age " .
Véritable nébuleuse,
constituée autant par de simples organisateurs de stages
à la recherche d'une clientèle que par de véritables
gourous contrôlant une structure, le " Nouvel Age
" est dangereux parce qu'il peut prédisposer ses
adeptes à s'engager dans des voies plus périlleuses
de type " apocalyptique " par exemple.
L'approche de l'an 2000 pourrait,
en effet, correspondre à une multiplication considérable
des groupes " apocalyptiques " ou millénaristes
à partir du message mal compris (car il est fondamentalement
optimiste) des " new-agers " . En outre, de gros bataillons
d'adeptes déçus des rangs évangéliques
(Témoins de Jéhovah, adventistes...) ou syncrétiques
pourraient nourrir ce mouvement.
Le " Nouvel Age " a en tout
cas fait régresser dans de notables proportions une dominante
exclusive " alternative " qui était fortement
ancrée dans le paysage sectaire depuis les années
70 (communautés de " retour à la terre "
, à caractère tribal comme Ecoovie...).
- Les sectes " orientalistes
" se renouvellent.
Les sectes " orientalistes "
actuelles sont le noyau dur et les héritières
des sectes religieuses dominantes des années 70-80. Celles-ci,
telles Krishna, la Méditation Transcendantale, la Soka
Gakkaï se sont le plus souvent seulement maintenues, alors
que de nouveaux coreligionnaires d'importance sont apparus (HUE,
sectes japonaises...).
La spiritualité orientale fascine
toujours, même si, aujourd'hui , elle est concurrencée
par le " Nouvel Age " et si elle incorpore de plus
en plus de préceptes " guérisseurs "
particulièrement dangereux.
- La dominante " guérisseuse
" envahit, à l'instar du " nouvel âge
" la plupart des courants sectaires.
Avec la composante " Nouvel Age
" , les pseudo-thérapies d'origine divine ou "
naturelle " façonnent maintenant pour une large
part le paysage sectaire. Confinée jusqu'à ces
dernières années dans la sphère religieuse
orientale (Mahikari, HUE...) ou chrétienne (IVI, groupes
évangéliques...), la dominante " guérisseuse
" se greffe aussi aujourd'hui sur la plupart des autres
grands courants sectaires (occultiste, syncrétique, psychanalytique)....
quand elle ne se suffit pas à elle-même en tant
qu'unique objet de la secte (Fédération internationale
pour le développement de l'alimentation instinctive).
S'imposant à des degrés
divers, depuis la simple prière jusqu'à des processus
" thérapeutiques " complets, cette dominante
présente également une dangerosité variant
selon ses prétentions à apporter ou non une solution
aux maladies les plus graves, à imposer ou non l'abandon
de la médecine officielle.
- Le vaste courant " occultiste
" semble peu menacé par ses stables voisins "
néo-païens " et " sataniques " .
A côté des nombreux mouvements
ésotériques non pris en compte (rosicruciens AMORC,
martinistes...), de multiples structures néo-templières,
initiatiques etc... perpétuent un courant " occultiste
" souvent mâtiné, aujourd'hui , d'apports
du " nouvel âge " ou " guérisseurs
" .
En marge de ces confréries
souvent intéressées principalement par l'assise
financière de leurs membres, ont gravité de tout
temps des groupes néo-païens (les " druides
" ..) ou sataniques (WICCA...) dont l'aspect folklorique
ne doit pas faire oublier l'idéologie élitiste,
agressive, fréquemment raciste.
Tous ces courants " magiques
" paraissent avoir peu évolué sur l'échiquier
sectaire. Mais l'extrême discrétion des groupes
qui en relèvent ne permet pas de les détecter
systématiquement et les groupuscules sataniques inspirent
des craintes qui ne doivent pas être prises à la
légère, car, à l'instar de leur "
coreligionnaires " des Etats-Unis et des pays scandinaves,
les lucifériens français sont susceptibles de
délaisser leurs activités folkloriques actuelles
pour des actions criminelles : profanation de cimetières,
trafic de drogue, crimes de sang...
- Les courants " évangélique
" , " pseudo-catholique " et " syncrétique
" résistent plus ou moins bien.
A l'instar du courant orientaliste,
qui dispose d'atouts exotiques pour garder son rang sur la scène
sectaire, ces mouvements à dominante religieuse éprouvent
de plus en plus le besoin de développer, à titre
accessoire et rémunérateur, un enseignement (et
des prestations) axé sur la guérison divine.
Les " petites églises
" conduites par de faux évêques se maintiennent
aussi grâce à une utilisation caricaturale des
rituels romains ou catholiques orientaux. De leur côté,
les mouvements à dominante évangélique,
souvent animés par d'authentiques pasteurs ayant basculé
dans le rôle de gourou, profitent toujours des libertés
offertes par les structures protestantes officielles pour prospérer
à leur lisière. Les groupes syncrétiques,
quant à eux, résistent difficilement à
la vague " nouvel âge " .
- Un engouement pour les sectes "
modernes " affichant des prétentions en matière
psychanalytique est indéniable.
Le courant " psychanalytique
" occupe sans conteste dans la dynamique sectaire de ces
dernières années la troisième place d'un
podium déjà occupé par le " nouvel
âge " et les " guérisseurs " . La
difficulté de cerner avec précision ce courant
explique que les données quantitatives le concernant
ne traduisent que fort imparfaitement son influence.
Avec des fers de lance comme la Scientologie,
ce courant apparaît aujourd'hui comme l'un des substituts
privilégiés des doctrines religieuses traditionnelles.
Il n'est que d'observer la prolifération d'officines
proposant stages et séminaires de " développement
personnel " .... financés parfois dans le cadre
de la formation professionnelle.
Il y a certes plus de " clients
" que d' " adeptes " fidélisés,
mais les cas de dérives sectaires se multiplient. Les
dommages causés aux victimes sont particulièrement
graves (ruine, démence, suicide...) car, dans ce type
de secte, les techniques de manipulation mentale sont extrêmement
perfectionnées.
- Le courant " ufologique "
demeure restreint mais prospère.
Emmenés par le Mouvement Raëlien
et Siderella, les " soucoupistes " font peu école.
Leurs effectifs progressent moins que les tarifs des prestations
proposées par les responsables. Ici encore, le pittoresque
du discours cache souvent des concepts plus inquiétants
comme la " géniocratie " (ou " gouvernement
des élites " ) chez les Raëliens.
B.- DES PRATIQUES SOUVENT DANGEUREUSES
Les dangers que présentent
les sectes, autrement appelés " dérives "
sectaires, méritent au premier chef d'attirer notre attention.
En effet, ce sont eux qui justifient l'attention particulière
que doivent leur porter les pouvoirs pubics et, rappelons-le,
la création de notre commission d'enquête.
Il convient donc de les analyser dans
le détail.
Mais auparavant, il est nécessaire
de dissiper un éventuel malentendu : tous les mouvements
spirituels autres que les religions traditionnelles et communément
appelés sectes ne sont pas dangereux, comme, par exemple,
les baptistes, les quakers ou les mormons. Leur rôle peut
même être, parfois, considéré comme
très positif : " Vous rencontrez les sectes] le
meilleur et le pire " a ainsi déclaré un
médecin à la Commission. Et d'ajouter: "
Parfois, par le biais des sectes, des personnes se retrouvent
dans un groupe chaleureux, d'autres redonnent un sens à
leur vie, d'autres encore se structurent. Parmi mes patients,
certains sont entrés dans des sectes. Je ne voudrais
pour rien au monde qu'ils en sortent, car cela leur sert momentanément
de tuteur " .
La commission a donc bien pris garde
de faire un amalgame entre tous les groupes spirituels existants.
Elle a considéré qu'elle devait se cantonner à
examiner les nuisances provoquées par les seules sectes
dangereuses. Et ce, pour mieux tenter de dégager les
moyens de les combattre.
Ces effets négatifs ont été
maintes fois dénoncés, que ce soit par la presse
ou par les pouvoirs publics eux-mêmes. Le rapport d'Alain
Vivien de 1983, l'avis de la Commission nationale consultative
des Droits de l'Homme du 10 décembre 1993 et les réponses
du Gouvernement aux questions parlementaires en témoignent,
ainsi que, sur la scène internationale, les rapports
de M. Richard Cottrell, du Parlement européen, en 1984,
ou de Sir John Hunt du Conseil de l'Europe, en 1991. D'ailleurs,
la Commission a constaté, au cours de ses travaux, que
personne n'en démentait l'existence.
Pour analyser les dangers que font
courir un certain nombre de ssectes, la Commission s'est fondée
principalement sur deux sources d'information, qui présentent
les plus grandes garanties d'objectivité, à savoir
les décisions judiciaires et les données collectées
par les Renseignements généraux. Elle a aussi
utilisé, dans une moindre mesure et avec la prudence
requise, les témoignages directs d'anciens adeptes.
La démarche suivie fait apparaître
que si les décisions judiciaires témoignent de
nombreuses illégalités commises par les sectes
ou certains de leurs membres, elles ne rendent compte que très
partiellement de leurs multiples dangers.
1.- Des illégalités
nombreuses et variées
De l'ensemble des décisions
de justice auxquelles la Commission a eu accès, notamment
de celles fournies par la Direction des affaires criminelles
et des grâces du ministère de la Justice, il ressort
que de nombreuses sectes se sont, au cours des dix dernières
années, rendues coupables d'illégalités.
Celles-ci relèvent de six domaines principaux :
( Il s'agit, en premier lieu, de délits
relatifs aux atteintes physiques à la personne humaine
: mauvais traitements, coups et blessures, séquestration,
non assistance à personne en danger ou pratique illégale
de la médecine.
Ainsi, le Tribunal de grande instance
de Versailles a-t-il établi, dans une décision
des 8 et 9 février 1995 (no 234) que M. et Mme Mihaes,
les dirigeants de la secte " la Citadelle " , se sont
rendus coupables, entre autres, de violences sur mineur de quinze
ans, d'enlèvement et de séquestration. Le compte-rendu
des faits par le tribunal est éloquent :
" Attendu que M. Solomon, qui avait
appartenu à ce groupe Citadelle] à partir de 1974,
l'avait quitté en 1990, rejoint quelques temps plus tard
par son épouse, alors que leurs deux enfants majeurs
Karen et Pascal ainsi que leur fille mineure Dana Solomon étaient
restés dans le mouvement ;
" Que M. Solomon et son épouse
étaient parvenus à reprendre avec difficultés
leur fille Dana le 25 août 1991, alors quelle se trouvait
au château de Courcillon (72), propriété
du couple Mihaes ;
" Que Dana Solomon devait expliquer
que dans cette communauté les enfants étaient
habituellement séparés de leurs parents et qu'ils
subissaient divers mauvais traitements qui leur étaient
infligés, notamment par Mme Mihaes, Mme Esther Antoine
et M. Axel Schmidt ;
" Qu'elle-même avait été
à plusieurs reprises frappée, séquestrée,
contrainte au jeûne et privée habituellement d'une
nourriture suffisante ;
" Attendu qu'il est établi
que, sous couvert d'application de préceptes bibliques,
les enfants ont été contraints aux jeûnes,
aux confessions publiques, ont été soumis à
des punitions qui, outre les coups, pouvaient s'exercer en un
isolement ainsi qu'en a été victime Dana Solomon,
retenue contre sa volonté dans la maison de gardien de
la propriété du Vésinet, sans chauffage
pendant les mois d'hiver et ne disposant que d'une nourriture
extrêmement frugale, mais qui pouvait aussi s'exercer
sous forme d'un déplacement de résidence ainsi
qu'en avait été victime Claire Solomon placée,
``en punition'', au domicile du couple Bahjejian et séparée
de ses frères et soeur ;
" Attendu qu'en ce qui concerne plus
précisément les prévenus, il est établi
que Mme Delia Mihaes, qui a toujours contesté les accusations
portées contre elle, a commis les faits qui lui sont
reprochés dans la prévention, en se livrant, à
de multiples reprises, à des actes de violence à
l'égard des enfants Stéphane, Jonathan, Céline
et Claire Antoine, Dana Solomon ainsi qu'à l'égard
de ses fils jumeaux Octavius et Flavius ;
" Qu'elle a gravement compromis la
santé et l'éducation de ces enfants en leur faisant
subir les privations et les brimades précédemment
exposées ;
" Qu'il est par ailleurs établi
qu'elle s'est rendue complice de séquestration exercée
sur la personne de Dana Solomon (...) " .
Le Tribunal de grande instance de
Dijon a, par ailleurs, été amené, dans
un jugement du 9 janvier 1987 (no 118-87), à condamner
le directeur-adjoint du centre Narconon de Grangey-sur-Ource
pour non assistance à personne en danger. Ce centre,
créé par l'Eglise de Scientologie, propose des
cures de désintoxication en appliquant les méthodes
de Ron Hubbard, à savoir la procédure de "
purification " , fondée principalement sur plusieurs
heures de sauna par jour, des " auditions " et une
absorption importante de vitamines. En l'espèce, la victime
était depuis longtemps soignée pour épilepsie
et s'était adressée à cet organisme car
elle souhaitait se " libérer des médicaments
" . Le centre l'a, sans examen médical préalable,
placée dans une chambre de " sevrage " . Or,
les expertises médicales ont montré que le décès
était dû à " un état de mal
épileptique dû à l'absence de traitement
suffisant à son début et de traitement d'urgence
pendant l'état de mal. " Le jugement ne laisse aucun
doute sur la responsabilité du centre :
" Que si Jocelyne Dorfmann avait pris
la décision de réduire sa consommation médicamenteuse,
puis de l'interrompre au risque de compromettre son état
de santé, les prévenus ne l'ont à aucun
moment prévenue de la nécessité d'un examen
médical d'admission, lequel aurait vraisemblablement
permis de contre-indiquer la cure de sevrage ; qu'il est inconcevable
que la victime ait pu être acceptée sans cet examen
et sans entretien sérieux malgré ses déclarations
sur son état de santé et son épilepsie,
alors que les prévenus ont reconnu savoir qu'en cas de
maladie grave, le traitement médical ne devait pas souffrir
d'interruption ;
" Que si lors de la survenue
de la première crise, les prévenus ont pu se méprendre
sur la nature exacte, la répétition des crises
et leur intensité croissante devaient leur évoquer
une origine distincte d'un état de manque qui, selon
les médecins experts, ne peut être confondu avec
un état épileptique ;
" Qu'ils n'ont pas jugé
utile de demander directement à la victime, alors qu'elle
était encore consciente, si ces manifestations pouvaient
correspondre aux crises d'épilepsie auxquelles elle avait
fait allusion ou de faire appel au médecin le plus proche.
(...) "
Plusieurs cas d'exercice illégal
de la médecine ont, en outre, été observés
ces dernières années. On évoquera, par
exemple, le cas assez significatif de M. Main, chef d'une communauté
religieuse appelée " Le Bon pasteur " , qui,
se réclamant du titre d'évêque (il avait
été ordonné tel par des ecclésiastiques
n'obéissant plus à Rome après le Concile
de Vatican II), prétendait guérir ou soulager
ses " fidèles " par des paroles, des prières,
des appositions des mains, l'utilisation d'un pendule et des
pratiques d'exorcisme et de désenvoûtement. Les
conclusions du Tribunal de grande instance de Périgueux,
dans sa décision du 22 juin 1994 (no 894), sont se passent
de commentaires : M. Main a été reconnu coupable
d'exercice illégal de la médecine par le tribunal
de grande instance de Périgueux dans un jugement du 22
juin 1994.
- De nombreuses condamnations ont également
été prononcées en matière de violation
de certaines obligations familiales, notamment de parents adeptes
de sectes à l'égard de leurs enfants.
Ainsi, par exemple, la Cour d'appel
de Rennes a-t-elle, dans une décision du 13 février
1993 (Epoux Durand), jugé que M. et Mme Durand, membres
de la secte Sahaja Yoga, avaient " compromis gravement
par manque de direction nécessaire la santé et
la sécurité de ] enfant Yoann " et tomb aient,
de ce fait, sous le coup de l'article 357.1 du code pénal,
en l'envoyant à l'âge de six ans et demi en Inde
dans une école de Dharamsala dirigée par les adeptes
de cette secte. Les motifs de la décision méritent
d'être cités :
" (...) considérant (...)
que sur la foi d'un simple prospectus donnant de simples orientations
générales (...), Dominique et Josette Durand (...)
ont pris la décision d'envoyer en avril 1990 (...) leur
enfant Yoann sans d'ailleurs l'accompagner dans son voyage,
dans une école dont le contenu de l'enseignement, en
anglais et hindi, ne leur était pas vraiment connu (...),
qu'ils n'offraient à l'enfant des garanties sur l'issue
de cet enseignement, sur les conditions d'accueil et de vie
dont le dossier révèle qu'elles étaient
notamment sur le plan climatique très rudes (...) sans
s'assurer de l'infrastructure médicale et des conditions
sanitaires qui attendaient l'enfant, sans même avant son
départ s'informer auprès de la médecine
spécialisée sur les risques qu'il encourait dans
une région du monde frappée de graves maladies
épidémiques pour l'essentiel inconnues en Europe,
sans mesurer les risques pour un enfant de 6 ans et demi d'un
sentiment d'abandon, voire de rejet alors qu'il savait la naissance
proche d'un autre enfant dans le foyer et qu'il entretenait
des relations particulièrement privilégiées
avec ses grands-parents maternels, les époux Héline
;
" (...) que le rapport établi
par trois experts qui ont examiné l'enfant le 5 juillet
1991 constate d'importantes dégradations psychiques liées
à la séparation brutale et prolongée exactement
décrites par le tribunal, des examens postérieurs
révélant une nette amélioration chez un
enfant revenu dans son cadre familial et poursuivant une scolarisation
normale ; "
Parfois, les faits ne sont pas aussi manifestement
répréhensibles. Le juge s'abstient alors de condamner
directement les parents adeptes, mais leur refuse l'exercice
de l'autorité parentale ou le droit de garde. C'est en
ce sens, par exemple, que statua le Tribunal de grande instance
d'Avignon le 25 mai 1992 (décision no 673/92) :
" Il n'appartient certes pas
au Tribunal de se prononcer sur les bienfaits ou méfaits
de la secte (...) des Témoins de Jéhovah mais
seulement, selon " l'intérêt des enfants mineurs
" , (...) d'indiquer le parent chez lequel les enfants
ont leur résidence habituelle et de statuer sur l'exercice
de l'autorité parentale.
" Après avoir énuméré
une partie de l'impressionnante liste des interdits que les
adeptes de cette secte - à laquelle Madame ...... ne
conteste pas avoir adhéré - doivent respecter,
Madame Audoyer remarque à juste titre dans le rapport
d'enquête sociale qu'elle a déposé qu'ils
sont susceptibles d'entraver un avenir pour des enfants telles
que Debora et Flora.
" L'éducation des enfants
ne saurait en effet consister en un endoctrinement basé
sur une vision particulièrement cataclysmique du monde
dont seuls les adeptes de la secte seraient préservés,
mais au contraire en un éveil de l'esprit, une ouverture
à tous les domaines de la connaissance et à toutes
les disciplines, ainsi qu'aux relations avec les autres sans
discrimination de race, de religion ou d'idées.
" En l'état actuel, afin
de préserver tant le présent que l'avenir de ces
deux enfants (...), il apparaît nécessairede fixer
leur résidence habituelle chez leur père qui exercera
l'autorité parentale. (...) "
Les sectes se sont, en outre, maintes fois
rendues coupables de diffamation, dénonciation calomnieuse
ou violation de la vie privée au cours de la période
récente.
Ce fut notamment le cas de l'Eglise
de Scientologie.
Ainsi, le Tribunal de grande instance de
Paris a-t-il, dans un jugement du 13 octobre 1993 (M. Abgrall
c/ Mme Lefèvre), condamné pour diffamation Mme
Lefèvre, directeur de la publication d' " Ethique
et liberté " , l'une des revues de l'Eglise de Scientologie.
En effet, un article de cette publication,
titré " Une milice de la pensée " et
consacré à l'Association de défense de
la famille et de l'individu, faisait état d'enlèvements
et de séquestrations commis par les membres de cette
association, et notamment de l'internement en hôpital
psychiatrique en 1991 d'un scientologue de Marseille, réalisé
avec la complicité de J.M. Abgrall, psychiatre, alors
que ces faits n'ont nullement été prouvés.
Dans le même sens, la Cour d'appel
de Douai a, dans sa décision du 18 mars 1982 (no 302),
reconnu le Centre Hubbard de Dianétique coupable de "
diffamation publique, assimilée à l'injure "
, pour avoir écrit en faisant référence
à l'ADFI :
" ... Il me paraît vital
pour la liberté de religion et pour la liberté
d'opinion de dénoncer et d'arrêter les agissements
de ce groupe fascisant qui tire sur tout ce qui bouge qui soit
nouveau ou différent...
On peut également évoquer
le cas d'une dénonciation calomnieuse confirmée
par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 avril 1987
(A.J.), ainsi que celui d'une violation de la vie privée
par l'association " Ethique et liberté " ,
dans une décision rendue le 15 mars dernier par le Tribunal
de grande instance de Paris (no 9).
Plusieurs décisions juridictionnelles
témoignent aussi d'une pratique assez fréquente
de la fraude fiscale par certaines associations.
La Cour de Cassation a, par exemple,
confirmé dans un arrêt du 25 juin 1990 (Blanchard
Henri et autres) l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du
26 janvier 1988, condamnant le Président de l'Association
pour l'unification du christianisme mondial (AUCM), qui est
la branche française de la secte Moon, pour fraude fiscale.
Cet arrêt montre notamment que cet organisme a, sous le
couvert d'une association à but religieux, réalisé
d'importants bénéfices non déclarés
:
" (...) Attendu que Henri Blanchard
a été renvoyé devant le tribunal correctionnel
pour avoir soustrait frauduleusement l'AUCM dont il était
le président à l'établissement et au paiement
de l'impôt sur les sociétés, et pour avoir
sciemment omis de passer ou de faire passer dans les documents
tenant lieu de livre-journal et de livre d'inventaire tout ou
partie des écritures ;
" Attendu que (...) les juges
énoncent que l'AUCM n'a que les apparences d'une association
et qu'elle exerce, par la mise en vente d'un journal, une activité
lui procurant des bénéfices dont une partie importante,
non portée en recettes, a servi, par l'intermédiaire
de prête-noms, à des acquisitions mobilières
ou immobilières occultes, dont, pour certaines, l'affectation
n'a pu être précisée ; (...) " .
Ont également été
convaincues de fraude fiscale, entre autres, l'Association internationale
pour la conscience de Krishna (AICK) (cf. notamment l'arrêt
du 19 octobre 1989 de la Cour d'appel de Bourges, no 461/89)
et l'Eglise de Scientologie (cf. notamment l'arrêt du
3 février 1995 de la Cour d'appel de Paris, no 7). Là
aussi, ces organismes avaient réalisé de substantiels
bénéfices commerciaux par le biais d'associations
à but soi-disant désintéressé.
Par ailleurs, l'arrêt du 3 février
1995 de la Cour d'appel de Paris a établi que l'Eglise
de Scientologie présentait un passif de l'ordre de 41
millions de francs et l'a mise en redressement judiciaire. En
outre, le tribunal de commerce de Paris a prononcé, le
30 novembre 1995, la mise en liquidation judiciaire de l'Eglise
de Scientologie de Paris, pour des impayés à l'administration
fiscale et à l'URSSAF d'un montant de 48 millions de
francs.
On constate également plusieurs
cas d'escroquerie, de tromperie ou d'abus de confiance.
Le Tribunal de grande instance de
Draguignan a ainsi, dans une décision du 20 mars 1995
(no 882/95), condamné pour escroquerie deux personnes
(M. Galiano et Mme Pison) se présentant respectivement
comme une réincarnation du Christ et de la Vierge. Et
ce, pour les raisons suivantes :
" Il résulte ainsi de
l'ensemble de ces éléments que les mis en examen,
par des mises en scène dans des réunions publiques,
ont persuadé des gens crédules de l'existence
de pouvoirs surnaturels leur permettant d'espérer un
mieux vivre ou une guérison, tout en utilisant l'alibi
de la science, à savoir la profession de psychanalyste
pour l'un et de dentiste pour l'autre. En tentant de se faire
remettre ou en percevant des sommes, ils ont commis le délit
d'escroquerie. "
La Cour de cassation a, par ailleurs, jugé,
dans un arrêt du 15 novembre 1995 (A. Pouteau), que la
SARL Wide, dont Alain Pouteau était le gérant
et dont l'enquête a montré qu'elle était
" sous l'obédience de l'Eglise de Scientologie "
, " exploitait un centre de formation aux métiers
de la vente et faisait diffuser des annonces dans la presse
et des lettres circulaires auprès des maires dans lesquelles
elle s'engageait à procurer aux candidats, à l'issue
de leur formation, une place dans une entreprise sérieuse
" , s'est rendue coupable de tromperie, car elle "
n'était pas en mesure de garantir des emplois à
ses stagiaires " .
La fameuse affaire de la secte du
Fréchou illustre, d'autre part, parfaitement le cas d'abus
de confiance commis par les dirigeants de sectes au détriment
de leurs adeptes. En l'occurrence, ils se prévalaient
indûment du titre de prêtre, ce qui leur avait permis
d'extorquer à leurs fidèles un montant important
de dons (cf. notamment l'arrêt du 10 mai 1991 de la Cour
d'appel d'Agen, no 215/91).
Enfin, la jurisprudence fait état
de multiples violations du droit du travail ou de celui de la
sécurité sociale.
" La dénonciation de l'exploitation
impitoyable de l'adepte par les dirigeants, mépris des
lois sociales, durée du travail, pas de rémunération,
ni de couverture sociale (...) trouvent leur confirmation dans
le fait qu'Ecoovie ne verse au débat aucun contrat de
travail, aucun bulletin de salaire, aucune déclaration
à la sécurité sociale ou au fisc concernant
les adeptes qu'elle emploie, se bornant à alléguer
que ceux-ci sont bénévoles. " . C'est ainsi,
par exemple, que le Tribunal de grande instance de Paris décrivait,
dans son arrêt du 10 juillet 1985 (no 263), la façon
dont la secte Ecoovie concevait l'application des règles
du droit du travail et de la sécurité sociale.
Maintes condamnations ont donc été
prononcées sur des points très divers à
l'encontre des sectes au cours des dernières années,
sur la base de faits matériels incontestables.
Toutefois, la Commission a été
amenée à constater que cette approche ne rend
qu'incomplètement compte des dangers de certains mouvements
sectaires.
2.- Une nocivité
qui dépasse largement le champ des illégalités
constatées par les tribunaux
Tous les actes répréhensibles
commis par les sectes ne font évidemment pas l'objet
d'une condamnation. Loin s'en faut. Une telle condamnation,
nécessite, en effet, la réunion de plusieurs conditions
qu'il est souvent difficile d'obtenir :
- il faut, tout d'abord, que la personne
ayant subi un préjudice en soit consciente. Or, pour
les adeptes, la règle qui leur est imposée par
leur gourou est forcément bonne. Il faut donc que l'adepte
ait pris suffisamment de distance vis-à-vis de la secte,
généralement en en étant sorti, pour accéder
à cette prise de conscience ;
- il convient ensuite que l'intéressé
décide de porter plainte. Or, cette démarche est
loin d'être systématique : beaucoup préfèrent
" tourner définitivement la page " d'une période
traumatisante de leur histoire ; d'autres se confient volontiers
à des associations de défense mais n'osent pas
intenter d'action en justice par manque de confiance ou par
peur de représailles ;
- la preuve du délit ainsi
que la responsabilité de son auteur est, de l'avis de
la plupart des personnes entendues par la Commission, difficile
à appporter, ne serait-ce qu'en raison de " l'originalité
" des délits sectaires, desquels les victimes sont
parfois, par leur consentement d'un moment, les propres acteurs
;
- il faut aussi que les faits correspondent
à une incrimination prévue et sanctionnée
par la loi, ce qui n'est pas évident dans les cas de
manipulation mentale par exemple ;
- reste enfin, au cas où une
condamnation est intervenue, à la faire appliquer, ce
qui se heurte parfois à de grandes difficultés,
en raison de la multiplicité des moyens que certains
mouvements peuvent déployer : procédures dilatoires,
pressions de tous ordres, auto-dissolution ou, tout simplement,
fuite à l'étranger.
Les informations fournies à
la Commission par les Renseignements généraux
ainsi que les témoignages qu'elle a reçus l'ont
conduite à penser que les dangers que font courir certains
mouvements sectaires aux individus et à la société
sont, en réalité, à la fois plus nombreux,
plus étendus et plus graves que ne le suggère
la seule lecture des décisions judiciaires.
L'énumération ci-dessous
regroupe, en dix catégories, les dangers que présente
le phénomène sectaire pour les individus d'une
part, pour la société d'autre part, tels que la
Commission a pu les appréhender au travers de l'ensemble
de ses travaux.
a) Les
dangers pour l'individu
La déstabilisation mentale
est le premier d'entre eux.
On entend par cette expression le
fait, par la persuasion, la manipulation ou tout autre moyen
matériel, de déstabiliser quelqu'un pour le soumettre
à son emprise.
Selon les Renseignements généraux,
les 172 mouvements sectaires coercitifs qu'ils ont recensés
recourraient à des pratiques pouvant être ainsi
qualifiées.
La déstabilisation mentale
peut prendre des formes très diverses, et, notamment,
très insidieuse, comme l'illustrent le test de personnalité
et les " auditions " proposés par l'Eglise
de Scientologie. Voici comment un ancien adepte de cette association
a décrit à la Commission l'expérience du
test :
" Ce test, qui comporte environ
200 questions ayant trait à l'argent, la famille, au
travail, etc., a, à mon sens, un fondement psychologique
vrai mais donne ensuite lieu à une analyse - sur ordinateur,
aujourd'hui, ce qui lui donne un aspect sérieux qui en
impose beaucoup - tendant avant tout à mettre en valeur
les défauts - ce qui est somme toute simple --.
" Les défauts sont donc
amplifiés tandis que les qualités sont plutôt
sous-estimées, ce qui permet d'arriver au constat qu'il
y a des choses à faire et que le centre de dianétique
a des choses à vous proposer.
" (...) Et à partir de
là, gens] sont tentés d'aller plus loin "
.
Dès lors, le processus de déstabilisation
mentale est déjà commencé. Il franchit
une étape supplémentaire lorsque l'intéressé
va effectivement " plus loin " et accepte de se livrer
à des " auditions " dianétiques :
" J'ai fait cinq ou six heures
d'audition. Dans ces auditions dites dianétiques(...),
on vous fait fermer les yeux - un peu comme chez un psy - et
on vous fait revivre les moments difficiles. Personnellement,
j'ai parlé de mon premier amour d'adolescent - j'ai fait
la même chose que ce que l'on fait devant un psy --, ce
qui a entraîné chez moi une remontée émotionnelle
qui m'a un peu perturbé.
" Là, le mal était
bel et bien fait car j'avais envie d'aller plus loin. (...)
" .
L'intéressé est effectivement
" allé plus loin " , ce qui l'a conduit à
un état d'aliénation et de dépendance extrêmes.
Cette pratique, on le voit, est très
insidieuse, car elle se pare d'un fondement scientifique et
s'exerce avec l'accord de la victime, de façon progressive
et dans un cadre parfaitement légal.
Certains procédés sont,
en revanche, nettement plus brutaux. Il s'agit, par exemple,
d'affaiblir l'individu en lui imposant une discipline très
rigoureuse, ou de réduire son esprit critique en l'astreignant
à des actes ou des prières répétitifs
afin d'obtenir sa complète obéissance. Les témoignages
recueillis sur la journée type d'un adepte de l'Association
internationale pour la conscience de Krishna, avec, notamment,
ses onze heures de travail et ses six heures de dévotion
par jour, l'attestent.
Ces procédés peuvent
même parfois conduire les adeptes à un état
d'asthénie pathologique avancé.
On constate également, bien
que plus rarement, le recours à des techniques sophrologiques,
pouvant aller jusqu'à l'hypnose profonde ou à
la prescription de drogues, permettant de réaliser, pour
reprendre l'expression du colonel Morin, un véritable
" viol psychique " de l'adepte.
Ces formes de déstabilisation
mentale peuvent avoir de graves conséquences sur le psychisme
de ceux auxquels elles ont été appliquées,
telles que dépression, envoûtement, attitude schizophrénique
ou profond état de dépendance.
Certaines sectes ont, en outre, à
l'égard de leurs adeptes, des exigences financières
exorbitantes.
Selon les Renseignements généraux,
ce serait aujourd'hui le cas de 76 sectes.
Il en est notamment ainsi de l'Eglise
de Scientologie. Celle-ci facturerait, en effet, certains cours
à plus de 70.000 francs. Plusieurs témoignages
recueillis par la Commission montrent qu'elle aurait conduit
de nombreux adeptes à une grave situation d'endettement.
On peut citer également l'Association
pour l'unification du christianisme mondial qui aurait demandé
entre 7.000 et 14.000 francs à chacune des 72.000 personnes
mariées collectivement par le Révérend
Moon à Séoul au mois d'août dernier.
L'exploitation financière serait
aussi le fait, notamment, de l'Alliance Rose Croix, la Nouvelle
Acropole, les Chevaliers du Lotus d'Or, l'Eglise universelle
du royaume de Dieu, le Grand logis ou le Mouvement raëlien
français.
La rupture de l'adepte avec l'environnement
d'origine est fréquemment constatée. Elle est
évidente lorsqu'il s'agit de sectes pratiquant la vie
en communauté, mais celles-ci ne sont pas les plus nombreuses.
Elle est plus insidieuse mais tout aussi réelle dans
le cadre de sectes dont les adeptes continuent, en apparence,
de mener une vie familiale et sociale normale, mais dont l'engagement
les conduit progressivement à cesser toute relation véritable
avec le monde extérieur au mouvement dont ils sont membres.
Et c'est précisément là le but auquel les
dirigeants de sectes veulent parvenir, en incitant l'adepte
à consacrer le plus possible de son temps à la
secte, à ses rites et à ses croyances : faire
cesser tout contact avec les personnes qui seraient susceptbiles
d'insinuer le doute dans l'esprit de l'adepte, de réveiller
son sens critique et, finalement, de le détourner de
la secte.
D'après les informations recueillies
par votre commission, 57 mouvements spirituels présenteraient
ce danger, notamment l'Alliance universelle, l'Eglise de scientologie,
les Témoins de Jéhovah, IVI, la Famille ou le
Mouvement humaniste.
On se bornera, pour l'illustrer, à
rappeler un témoignage communiqué par un ex-adepte
des Témoins de Jéhovah :
" (...) Si je me décide
aujourd'hui à écrire, c'est pour casser le silence
de vingt années maintenant de souffrance morale durant
lesquelles à cause d'une secte, qui est (...) "
la secte des Témoins de Jéhovah " , j'ai
vécu l'enfer.
" Les gens vivent en autarcie,
ne participent en rien à la vie économique, culturelle
ou autre d'un pays. Ils sont un danger parce qu'ils vous détruisent
tout simplement ; vous écartent de votre famille, de
vos amis, de la société même. Vous êtes
isolés de tout, il y a un endoctrinement commun à
tous les disciples et gare si vous essayez d'être vous-même.
C'est interdit. "
( Les pratiques de certaines sectes portent
atteinte à l'intégrité physique des adeptes.
Selon les renseignements qui ont été obtenus par
votre commission, 82 sectes feraient courir un tel danger à
leurs membres.
Il peut s'agir de mauvais traitements,
coups et blessures, séquestrations, non assistance à
personne en danger ou exercice illégal de la médecine,
mais aussi d'agressions sexuelles.
Plusieurs plaintes ont ainsi été
déposées contre le gourou du Mandarom, Gilbert
Bourdin, pour viols, tentatives de viols et agressions sexuelles.
L'intéressé a d'ailleurs été mis
en examen et placé sous contrôle judiciaire en
juin dernier.
Il est bien connu qu'au sein de la
secte Les Enfants de Dieu (aujourd'hui dissoute) la prostitution
et l'inceste étaient couramment pratiqués. Voici,
par exemple, comment la fille de David Berg, le fondateur du
mouvement, raconte l'attitude de son père à son
égard dans le " Shukan Bushun " du 30 juillet
1992 :
" Mon père m'a pressée
pour la première fois d'avoir un rapport sexuel avec
lui, quand j'avais huit ans, au Texas. J'ai résisté,
néanmoins, j'ai été violée. Cela
a été si brusque que j'en étais totalement
bouleversée et incapable d'en parler à quiconque.
" (...) Malheureusement, quand
mon père était saisi par le désir sexuel,
il ne pouvait pas se contrôler, même si l'objet
de son désir était sa propre fille.
" (...) Un jour, mon père
rassembla les membres de la famille royale et annonça
: " l'inceste est une bonne chose. C'est ainsi qu'Adam
et Eve ont eu beaucoup de descendance " (...) "
Une autre adepte fait part, elle, de la
pratique du " flirty fishing " consistant à
prostituer des enfants " avec l'intention déterminée
de gagner plus d'adeptes et d'acquérir des appuis "
.
Auto-dissoute en 1978, cette secte
aurait été recréée sous une autre
appellation ( " La Famille " ), sous laquelle existe
effectivement aujourd'hui une association sectaire.
Chacun garde enfin en mémoire
les drames à grande échelle que furent, entre
autres, les suicides collectifs du Guyana en 1979, qui ont fait
923 victimes, ou de Waco en 1993, qui ont tué 88 personnes.
- Enfin, l'embrigadement des enfants serait
le fait de 28 mouvements.
Outre " la Citadelle " dont
les exactions ont déjà été évoquées,
pratiqueraient l'embrigadement des enfants sous une forme plus
ou moins insidieuse, les Témoins de Jéhovah, l'Association
pour l'unification du christianisme mondial, la Communauté
de la Thébaïde, l'Eglise de Scientologie de Paris,
l'Eglise kristique de la Jérusalem nouvelle, la Fédération
française pour la conscience de Krishna, la Famille et
le Grand Logis.
Au-delà de ces effets négatifs
sur des individus déterminés, les sectes peuvent
également se révéler particulièrement
nocives pour la collectivité dans son ensemble.
b) Les dangers
pour la collectivité
Certaines sectes ont, en premier lieu,
un discours clairement antisocial.
Cela n'est d'ailleurs pas étonnant
: les mouvements qui préconisent des pratiques contraires
aux lois et à la morale commune doivent bien les justifier
; ils expliquent donc souvent à leurs adeptes que ces
lois et cette morale sont mauvaises et que seuls les principes
de la secte méritent d'être suivis.
46 organisations auraient un discours
antisocial selon les Renseignements généraux,
parmi lesquelles les Chevaliers du lotus d'or, la Fédération
française pour la conscience de Krishna, la Famille,
le Suicide des rives, le Mouvement raëlien et l'Ordre du
coeur immaculé de Marie et de Saint Louis de Montfort.
Plusieurs organisations provoquent,
d'autre part, des troubles à l'ordre public.
Selon les indications fournies à
votre commission par le ministère de l'intérieur,
ce serait le cas de 26 sectes, parmi lesquelles les Témoins
de Jéhovah, la Nouvelle Acropole, l'Eglise de Scientologie,
la Fédération française pour la conscience
de Krishna, le Suicide des rives et le Mouvement raëlien
français.
Les témoignages recueillis
concernant la Nouvelle Acropole, assimilant la secte à
un mouvement néo-fasciste, sont assez éloquents.
En voici un extrait :
" (..) Or, malheureusement, à
la Nouvelle Acropole, au fur et à mesure que les années
passent, les idées trépassent. C'est-à-dire
que rentré dans une école de philosophie à
la façade honnête, vous vous retrouvez très
rapidement dans une secte aux visées politiques, au caractère
extrême-droite et de type néo-fasciste, et si vous
ne réagissez pas rapidement, vous risquez de vous retrouver
en uniforme de style para-militaire (bleu-marine pour les femmes,
noir pour les hommes et marron pour les officiers), le brassard
au bras, l'étendard dans une main, chantant des chants
guerriers au rythme de musiques militaires, puis baissant la
tête, le genou à terre, saluant le bras levé
un rapace dans un soleil !!!
" (...) Ce sont de plus des ennemis
déclarés de la démocratie, uniquement bonne
aux lâches et aux faibles, aux dires des dirigeants de
la Nouvelle Acropole. De plus, ils sont hostiles à toute
forme d'opposition, et sont susceptibles de devenir très
dangereux. Pour eux, la fin justifie les moyens (...) "
.
( Certaines sectes sont coutumières
des démêlés judiciaires, comme en témoignent
les affaires évoquées plus haut.
Toutefois, il convient de préciser
que les rapports difficiles qu'entretiennent certaines sectes
avec la justice peuvent prendre deux visages : les poursuites
dont elles font l'objet en raison du caractère délictueux
ou préjudiciable de leurs actes ; les actions qu'elles
intentent elles-mêmes à l'égard des personnes
qui ont, selon elles, terni leur image.
A cet égard, la Commission
a eu l'occasion de constater que la plupart des personnes auditionnées
qui se sont publiquement exprimées sur les effets négatifs
de certains mouvements sectaires ont été assignées
en justice par ceux-ci pour diffamation. L'Eglise de Scientologie
est, par exemple, très coutumière du fait. En
général, les tribunaux déboutent les mouvements.
- On constate également de nombreux
cas de détournement des circuits économiques, de
telles pratiques étant le fait de 51 organismes, selon
les analyses des Renseignements généraux.
Il en serait ainsi de l'Association
pour la recherche sur le développement holistique de
l'homme, l'Association Nouvelle Acropole France, Athanor, le
Centre de documentation d'information et de contact pour la
prévention du cancer, la Clé de l'univers, l'Eglise
de Scientologie, du Mouvement raëlien français ou
de la Soka Gakkaï internationale France.
On a vu, de fait, comment certaines
sectes pouvaient avoir recours au travail clandestin ou à
diverses formes de fraude ou d'escroquerie.
- Par ailleurs, plusieurs personnes ont évoqué
devant la Commission les infiltrations ou tentatives d'infiltration
auxquelles se livreraient les sectes au sein des pouvoirs publics.
Dans le même sens, certains journalistes se sont attachés
depuis quelques années à démontrer l'influence
que pouvaient exercer certaines sectes - au premier chef l'Eglise
de Scientologie - dans l'appareil d'Etat.
Votre commission, quant à elle, ne
s'estime pas autorisée à faire état dans
le présent rapport d'allégations portées
à sa connaissance au cours de ses travaux mais dont elle
n'a eu aucun moyen de vérifier le bien-fondé.
Certains pourraient voir là de la naïveté
et la juger déplacée face aux entreprises subtiles
de groupes qui savent très habilement mettre en oeuvre
les moyens leur permettant d'arriver à leurs fins. Il
n'en est rien. Simplement, la Commission juge de son devoir
de faire preuve de prudence et de refuser de rapporter des allégations
dont les conséquences pourraient être d'une certaine
gravité, sans pouvoir en apporter la moindre preuve.
Pour autant, elle n'a pas manqué d'être alarmée
par certains éléments qui lui ont été
communiqués. Aussi attire-t-elle l'attention des responsables
administratifs sur la nécessité, sans tomber dans
la paranoïa, de faire preuve de la plus grande vigilance,
de façon à éviter, au moins, que soient
attribués des subventions ou des marchés à
des sectes ou des organismes gravitant dans leur mouvance, par
méconnaissance de leur nature exacte.
Multiple, divers, complexe, le phénomène
sectaire présente des dangers indéniables pour
l'individu comme pour la société. Et ce, d'autant
qu'ils peuvent prendre les formes les plus insidieuses. Aucune
catégorie sociale ou professionnelle n'y échappe
et si les jeunes paraissent davantage touchés, on trouve
dans les sectes des personnes de tous âges.
Une question essentielle se pose alors
aujourd'hui : ces dangers tendent-ils à s'accroître
depuis dix ans ?
On ne peut guère apporter de
réponse précise à cette question, car il
est, en l'état actuel des choses, impossible de mesurer
avec exactitude leur évolution dans l'ensemble des mouvements.
Toutefois, les avis recueillis par la Commission de la part
de plusieurs observateurs laissent penser que si les pratiques
des sectes ne sont pas plus dangereuses aujourd'hui qu'hier,
beaucoup plus de personnes en sont victimes.
Dans ces conditions, il paraît
particulièrement important de savoir, d'une part, si
le dispositif juridique existant est suffisant pour y faire
face et, d'autre part, ce que les pouvoirs publics peuvent faire
pour mieux lutter contre ces dérives.
III.- LA NECESSITE
D'UNE RIPOSTE ADAPTEE A LA DANGEROSITé DES SECTES
Si l'on cherche à analyser
les causes de la difficulté que les pouvoirs publics
éprouvent à enrayer les dérives sectaires,
il apparaît que cette situation peut tenir à trois
causes : soit les moyens de droit existants ne permettraient
pas de les contrecarrer ; soit le dispositif juridique actuel
est globalement adapté mais incomplet et ne permet donc
que partiellement d'y faire face ; soit, enfin, il est suffisant,
mais n'est pas appliqué de manière totalement
satisfaisante.
L'étude du dispositif juridique
conduit votre commission à penser qu'il est globalement
adapté aux problèmes posés par les sectes
et ne nécessite pas, de ce fait, une réforme d'ensemble.
On constate néanmoins, comme on l'a
vu plus haut, qu'il est souvent difficile de faire condamner
des organismes qui ont eu un comportement délictuel.
La réponse à ces problèmes
passe donc par une attitude très pragmatique, fondée
avant tout sur une forte action de prévention, une meilleure
application de la loi et l'amélioration sur quelques
points du dispositif juridique existant.
A.- UN DISPOSITIF D'ENSEMBLE EQUILIBRE, QUI NE JUSTIFIE PAS DE REVOLUTION
JURIDIQUE
Tout mouvement spirituel, dans la
mesure où il exprime des convictions religieuses ou,
à tout le moins, des croyances, est protégé
par le principe de la liberté de conscience.
Cette liberté, qui se définit
comme le pouvoir d'agir conformément aux indications
de sa conscience, notamment en matière religieuse, est,
rappelons-le, garantie par l'article 10 de la Déclaration
des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, le 5e alinéa
du préambule de la constitution de 1946, ainsi que par
l'article 2 de la constitution de 1958.
Elle est également consacrée,
de façon encore plus précise, par plusieurs conventions
internationales auxquelles la France est partie. Ainsi en est-il
de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
ratifiée par la France en 1973 et de l'article 18 du
pacte international relatif aux droits civils et politiques
de 1966, entré en vigueur en France en 1981.
Tout mouvement spirituel jouit, d'autre
part, de la liberté de réunion garantie par la
loi du 30 juin 1881, ainsi que de la liberté d'association,
prévue par l'article 2 de la loi du 1er juillet 1901
relative au contrat d'association.
Ces trois libertés ne peuvent
toutefois s'exercer que dans certaines limites.
D'abord, celle du respect de l'ordre
public, c'est-à-dire, au sens large, la tranquillité,
la sécurité, la salubrité et la moralité
publiques. Ainsi, l'article 3 de la loi du 1er juillet 1901
précitée dispose que " toute association
fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire
aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter
atteinte à l'intégrité du territoire national
et à la forme républicaine du Gouvernement, est
nulle et non avenue " . Ainsi, dans un arrêt du 14
mai 1982 (Association internationale pour la conscience de Krishna),
le Conseil d'Etat a-t-il estimé que les seules restrictions
susceptibles d'être apportées à l'exercice
du culte krishnaïte pouvaient être tirées
du respect de la tranquillité publique et de la nécessité
de garantir les dispositions en matière d'hygiène
et de sécurité dans les établissements
recevant du public.
Deuxièmement, celle du respect
de la liberté et des droits d'autrui, car, comme l'affirme
l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et
du citoyen de 1789 : " la liberté consiste à
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui " . Ainsi,
par exemple, il ressort de la réponse apportée
par le ministre de l'Intérieur à deux questions
écrites de M. Alain Vivien, que poursuit une action de
caractère délictuel, en infraction avec la loi
no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique,
aux fichiers et aux libertés, la secte qui, par le biais
d'enquêtes ou de sondages sur l'usage des tranquillisants,
adresse à ses adhérents et à des tiers
non adhérents des questionnaires comportant des demandes
de renseignements sur l'identité, le domicile, le profession
ou les coordonnées téléphoniques des personnes
interrogées et des personnalités connues de ces
dernières, du monde politique, médiatique, artistique,
judiciaire ou financier (Rep. quest. écrites min. int.
n. 8465 et 8467 : JOAN ] 10 avril 1989, p. 1691).
Enfin, celle du respect du principe
de laïcité, sur lequel repose la séparation
des Eglises et de l'Etat décidée par la loi du
9 décembre 1905, ainsi que sur la neutralité de
celui-ci vis-à-vis des cultes. L'article 9 de cette loi
dispose, en effet, rappelons-le, que " la République
ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte
" .
Fondé sur un équilibre
entre, d'une part, les libertés de conscience, de réunion
et d'association et, d'autre part, le respect de l'ordre public,
des droits et libertés d'autrui et de la laïcité
de la République, le régime des cultes permet
donc, tout en assurant l'expression de toutes les croyances,
de faire face aux dangers sectaires.
1.- Un régime
qui, tout en garantissant la liberté de religion, permet
de réprimer les abus des mouvements sectaires
Si les mouvements spirituels disposent
des moyens juridiques pour exister et se développer,
la loi prévoit un arsenal important permettant de sanctionner
les abus qui pourraient être commis sous couvert de l'exercice
de la liberté religieuse.
a) Les mouvements
spirituels disposent de plusieurs cadres légaux pour
s'exprimer
- Ces mouvements peuvent, en premier lieu,
s'organiser en association non déclarée.
Les associations non déclarées
peuvent, selon l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 , recueillir
des cotisations. Elles peuvent aussi créer un fonds commun
destiné à faire face aux dépenses de l'association,
ouvrir un compte de chèques postaux et passer des contrats
de travail.
Elles ne font l'objet d'aucun contrôle
administratif spécifique.
Le fait de ne pas être déclarées
les empêche, en revanche, de jouir de la capacité
juridique. Il s'ensuit qu'elles ne peuvent acquérir ni
posséder un patrimoine immobilier, ni ester en justice.
Il est très difficile de savoir
combien de mouvements sectaires optent pour ce statut, qui ne
suppose aucune forme de publicité, mais ils sont vraisemblablement
peu nombreux.
- Le cadre juridique semble-t-il le plus utilisé
par les sectes est celui des associations déclarées
prévu par la loi du 1er juillet 1901.
Pour bénéficier de ce
statut, il suffit, en application de l'article 5 de cette loi,
de :
- faire une déclaration à
la préfecture du département ou à la sous-préfecture
de l'arrondissement où l'association a son siège
social, mentionnant " le titre et l'objet de l'association,
le siège de ses établissements et les noms, professions,
domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre
quelconque, sont chargés de son administration ou de
sa direction " ;
- y joindre deux exemplaires des statuts
;
- rendre publique l'association dans
un délai d'un mois par insertion au " Journal officiel
" d'un extrait contenant la date de la déclaration,
le titre et l'objet de l'association, ainsi que l'indication
de son siège social.
Dotées de la capacité
juridique, ces associations peuvent, outre exercer les droits
reconnus aux associations non déclarées, notamment
:
- acquérir, posséder
et administrer les cotisations de leurs membres, le local destiné
à leur administration et à la réunion de
leurs membres et les immeubles strictement nécessaires
à l'accomplissement du but qu'elles se proposent ;
- posséder des meubles corporels
et incorporels, ainsi qu'être titulaire d'un droit au
bail relatif à un immeuble d'habitation ;
- recevoir des dons manuels, des libéralités
des établissements d'utilité publique, ainsi que
des subventions publiques de l'Etat, des régions, des
départements, des communes et des établissements
publics ;
- retirer rétribution de services
rendus ;
- ester en justice.
En contrepartie, elles peuvent être
soumises au contrôle fiscal (article 1999 du code général
des impôts) et à celui de l'inspection du travail
(article 143.5 du code du travail), possibilités dont
on peut d'ailleurs regretter qu'elles ne soient pas davantage
utilisées.
D'autre part, elles ne peuvent - à
l'exception de celles qui sont reconnues d'utilité publique
et de celles qui ont pour but exclusif l'assistance, la bienfaisance,
la recherche scientifique ou médicale - recevoir des
donations ou des legs.
Très facile à obtenir,
le statut d'association déclarée offre beaucoup
de droits tout en imposant peu de contraintes. Aussi, la plupart
des sectes l'adoptent-elles.
- Beaucoup moins nombreux sont les mouvements
religieux qui jouissent du statut d'association cultuelle.
Ce régime est défini
par la loi du 9 décembre 1905 relatif à la séparation
des Eglises et de l'Etat.
La création des associations
cultuelles est soumise, outre aux conditions prévues
pour les associations déclarées, à certaines
autres obligations particulières. Ainsi doivent-elles
avoir pour objet exclusif l'exercice d'un culte et être
composées d'au moins sept personnes dans les communes
de moins de 1.000 habitants, de quinze personnes dans les communes
de 1.000 à 20.000 habitants et de 25 personnes majeures
dans les communes de plus de 20.000 habitants.
Elles bénéficient de
tous les droits accordés aux associations déclarées,
hormis celui de recevoir des subventions de l'Etat, des départements
et des communes, en raison du principe de séparation
entre les Eglises et l'Etat.
De plus, elles peuvent recevoir, outre le
produit des quêtes et collectes pour les frais du culte
et des rétributions pour les cérémonies
et services religieux, des libéralités testamentaires
et entre vifs (article 19, alinéa 4 de la loi du 9 décembre
1905). Toutefois, cette possibilité est soumise à
une autorisation délivrée par arrêté
préfectoral quand la valeur de la libéralité
est inférieure ou égale à 5 millions de
francs et par décret en Conseil d'Etat lorsqu'elle dépasse
ce montant.
D'autre part, en application des articles
200 et 238 bis du code général des impôts,
leurs bienfaiteurs peuvent déduire de l'impôt sur
le revenu ou de l'impôt sur les sociétés,
dans une certaine limite, un pourcentage des libéralités
qui leur sont accordées.
Il convient enfin d'observer que,
au titre de l'article 24 de la loi du 9 décembre 1905,
les édifices affectés à l'exercice du culte
appartenant à l'Etat, aux départements ou aux
communes, sont exemptés de l'impôt foncier et que
les ministres des cultes peuvent être affiliés,
en application de l'article L.721.1 du code de la sécurité
sociale, à un régime spécial de sécurité
sociale.
Enfin, ces associations font l'objet
d'un contrôle financier par l'administration de l'enregistrement
et par l'inspection générale des finances.
Peu de sectes se sont vu reconnaître
ce statut jusqu'à présent.
Certaines se déclarent elles-mêmes
associations cultuelles, y compris dans leur intitulé.
C'est le cas par exemple de l' " association cultuelle
des Témoins de Jéhovah " et de la secte du
Mandarom, qui s'est qualifiée en 1991 d' " association
cultuelle du temple pyramide de l'unité des religions
" . Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles se sont
vu reconnaître cette qualité par l'administration.
D'ailleurs, en l'espèce, elles ne bénéficient
pas de ce statut.
C'est la jurisprudence administrative
qui a précisé les contours de la notion d'association
cultuelle, en en donnant une définition restrictive.
Sa conception de l'objet cultuel l'a
ainsi conduite à refuser ce statut à l'Union des
athées (CE, Union des athées, 17/06/1988), alors
que la Commission européenne des droits de l'Homme considère,
elle, que cette association pouvait, par une analogie des contraires,
être considérée comme cultuelle. Par ailleurs,
le Conseil d'Etat a jugé que l'édition et la vente
de livres religieux (CE, Association Fraternité des Serviteurs
du Monde Nouveau, 21/01/1983) ou une activité éducative,
sociale et culturelle, fût-elle le prolongement d'une
activité cultuelle (CE, 20/10/1990, Association cultuelle
de l'Eglise apostolique arménienne de Paris), ne pouvaient
être considérées comme des activités
cultuelles.
D'autre part, le Conseil d'Etat a
refusé de reconnaître le statut d'association cultuelle
aux Témoins de Jéhovah dans un arrêt d'assemblée
du 1er février 1985 (CE, 1/02/1985, Association Chrétienne
des Témoins de Jéhovah), considérant que
cette association n'avait pas une activité conforme à
l'ordre public et à l'intérêt national.
L'absence de motivations précises
de cette dernière décision a d'ailleurs suscité
des critiques d'une part de la doctrine, notamment du Professeur
Jacques Robert, qui a estimé qu'elle devrait conduire
l'administration à saisir le Procureur de la République
pour faire constater la nullité de ladite association
par le tribunal de Grande Instance, conformément aux
dispositions des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901,
et qu'une telle restriction à la liberté des cultes
aboutissait à la reconstitution des cultes reconnus,
situation à laquelle la loi du 9 décembre 1905
entendait précisément mettre un terme.
Toujours est-il que c'est en fonction
de ces critères jurisprudentiels que le statut d'association
cultuelle est accordé par l'administration. Encore ne
l'est-il d'ailleurs que de façon indirecte par le bureau
des cultes ou les préfectures à l'occasion d'une
demande visant à bénéficier des avantages
prévus par l'article 19, alinéa 4 de la loi du
9 décembre 1905 (libéralités) ou des articles
200 et 238 bis du code général des impôts
(déductions d'impôts). Compte tenu de la multiplication
des associations qui se présentent comme l'expression
de nouveaux mouvements religieux et susceptibles de demander
à bénéficier du statut d'association cultuelle,
il n'est pas certain que ces administrations disposent à
elles seules des moyens de statuer en toute connaissance de
cause sur de telles demandes.
- Certains mouvements religieux exercent leurs
activités dans le cadre de congrégations.
Il existe actuellement en France environ
500 congrégations, dont la moitié a été
reconnue depuis 1970. La quasi totalité relève
de la religion catholique, mais on compte parmi elles quatre
orthodoxes, six bouddhistes et une protestante.
Leur régime juridique est organisé
par le titre III de la loi du 1er juillet 1901. Ce texte prévoit
qu'elles sont reconnues par décret pris sur avis conforme
du Conseil d'Etat et leur accorde les mêmes avantages
que ceux conférés aux associations cultuelles.
Mais la loi ne donne pas de définition
de la congrégation et la jurisprudence est extrêmement
rare sur ce point.
En tout état de cause, selon
le bureau des cultes du ministère de l'Intérieur,
peu de sectes ont demandé à bénéficier
de ce statut. Une requête a été formulée
en ce sens par le Mandarom de Castellane (Chevaliers du Lotus
d'or) dans la période récente, mais elle a été
rejetée.
- D'autres sectes recourent également,
directement ou indirectement, au statut de sociétés.
Il en est ainsi, par exemple, de l'Eglise
de Scientologie qui diffuse sa doctrine au travers de multiples
sociétés de formation et de services.
S'applique alors le régime
de droit commun de la forme juridique de la société
créée.
- Il convient, enfin, de mentionner l'existence
de divers régimes spéciaux.
Il s'agit, en fait, de particularismes
juridiques propres à certains départements et
dont l'existence tient à des raisons historiques.
C'est le cas notamment du régime
des cultes d'Alsace-Moselle, fondé sur un statut de concordat.
Il est caractérisé principalement par le maintien
de la distinction entre cultes reconnus et cultes non reconnus,
la gestion des cultes reconnus par des établissements
publics, la rémunération des prêtres, certaines
obligations financières, des avantages fiscaux particuliers
et un contrôle plus étroit par l'administration.
C'est le cas également du régime
des missions religieuses dans les territoires d'outre-mer et
à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que du régime
départemental confessionnel propre à la Guyane.
Si les mouvements spirituels bénéficient
donc de plusieurs cadres juridiques pour s'exprimer, la loi
permet cependant de réprimer les abus auxquels certains
peuvent se livrer.
b) Un
arsenal juridique important permet de sanctionner les "
dérives " sectaires
Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner,
pour chaque type de danger sectaire identifié par l'étude
des Renseignements généraux, les moyens juridiques
à la disposition des victimes et des pouvoirs publics
pour s'y opposer.
- Pour des raisons évidentes, la répression
des pratiques de déstabilisation mentale est particulièrement
délicate. Cela étant, un certain nombre de dispositions
peuvent être utilisées pour y parvenir. On peut notamment
citer :
- l'article 31 de la loi du 9 décembre
1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat,
punissant " de la peine d'amende prévue pour les
contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement
de dix jours à un mois, ou de l'une de ces deux peines
seulement, ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces
contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son
emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille
ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer
ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie
ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle,
à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux
frais d'un culte. "
- les sanctions prévues à
l'encontre des appels téléphoniques malveillants
ou des agressions sonores réitérés en vue
de troubler la tranquillité d'autrui (art. 222.16 du
nouveau code pénal) ;
- les peines réprimant les
outrages aux bonnes moeurs, les attentats aux moeurs et le harcèlement
sexuel (art. 283 et suivants et art. 330 et suivants du code
pénal ; art. 227.23 et suivants, 222.32, 222.33 et 227.25
et suivants du nouveau code pénal) ;
- les dispositions pénales
concernant le trafic des stupéfiants (art. 222.34 et
suivants du nouveau code pénal), dans l'hypothèse
où une secte inciterait ses adeptes à la consommation
de drogues ;
- les peines relatives à l'exercice
illégal de la médecine (art. L-372 et suivants
du code de la santé publique) ;
Mais votre Commission constate - pour le
regretter - qu'il n'est guère fait recours à ces
dispositions dans le cadre de la lutte contre les dérives
sectaires.
En outre, à côté
de ces dispositions traditionnelles, le nouveau code pénal
en application depuis mars 1994 comporte une incrimination nouvelle
susceptible de constituer un moyen juridique supplémentaire
pour lutter contre les pratiques de certains mouvements sectaires.
Il s'agit de l'article 313-4, aux termes duquel " l'abus
frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de
faiblesse, soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière
vulnérabilité due à son âge, à
une maladie, à une déficience physique ou psychique
ou à un état de grossesse, est apparente ou connue
de son auteur, pour obliger ce mineur ou cette personne vulnérable
à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement
préjudiciables, est puni de trois ans d'emprisonnement
et de 2.5000.000 F d'amende. " . Entièrement nouveau,
- de même que les articles 225-13 et 225-14 qui seront
évoqués plus loin à l'occasion de l'examen
des moyens de lutter contre les escroqueries et abus de confiance
- cet article, sans être spécifique aux sectes,
semble être d'un intérêt particulier pour
réprimer des faits de déstabilisation mentale
perpétrés par des sectes destructrices qui passaient
précédemment entre les mailles du filet du droit
pénal. Votre Commission ne peut donc qu'émettre
le souhait que les juges fassent usage de l'article 313-4 chaque
fois que cela permettra de sanctionner des actes répréhensibles
commis par des sectes.
Enfin, mais il ne s'agit plus là
de répression, le code civil comporte des dispositions
relatives à la protection des majeurs, qui peuvent trouver
à s'appliquer dans certains cas de profonde déstabilisation.
Ainsi, la loi protège-t-elle " le majeur qu'une
altération de ses facultés personnelles met dans
l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts
" ou celui qui, " par sa prodigalité, son intempérance
ou son oisiveté, s'expose à tomber dans le besoin
ou compromet l'exécution de ses obligations familiales
" (art. 489 du code civil). Il en est également
ainsi " lorsque les facultés mentales sont altérées
par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement
dû à l'âge " (art. 490 du code civil).
Un régime de sauvegarde de justice (art. 491 et suivants),
de tutelle (art. 492 et suivants), ou de curatelle (art. 508
et suivants) peut alors être appliqué.
- Pour battre en brèche les exigences
financières exorbitantes de certaines sectes, on dispose
:
- des articles du code pénal
et du nouveau code pénal punissant le vol (art. 379 et
suivants du code pénal et 311.1 et suivants du nouveau
code pénal), l'escroquerie (art. 405 du code pénal
et 313.1 du nouveau code pénal) et l'abus de confiance
(art. 406 et suivants du code pénal et 314.1 et suivants
du nouveau code pénal) ;
- des sanctions existant en matière
de publicité fausse ou trompeuse (loi no 73.1193 du 27
décembre 1973, art. 44 ; loi no 78.23 du 10 janvier 1978,
art. 30) ;
- de la réglementation des
quêtes sur la voie publique (circulaire du 21 juillet
1987 relative à l'appel à la générosité
publique) ;
- des articles 225.13 ( " Le
fait d'obtenir d'une personne, en abusant de sa vulnérabilité
ou de sa situation de dépendance, la fourniture de services
non rétribués ou en échange d'une rétribution
manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli
est puni de deux ans d'emprisonnement et de 500.000 F d'amende
" ) et 225.14 ( " Le fait de soumettre une personne,
en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation
de dépendance à des conditions de travail ou d'hébergement
incompatibles avec la dignité humaine est puni de deux
ans d'emprisonnement et de 500.000 F. d'amende " ) du nouveau
code pénal, qui permettent de sanctionner des formes
d'exploitation financières directes ou indirectes manifestes.
On ne peut que souhaiter que ces dispositions nouvelles reçoivent
une application fréquente de façon à lutter
efficacement contre l'exploitation financière des adeptes
par les sectes.
- Plusieurs moyens permettent de faire face
aux ruptures avec l'environnement d'origine :
- les obligations imposées
par le code civil aux époux (art. 212 et suivants du
code civil). On citera notamment l'article 215, qui précise
que " les époux s'obligent mutuellement à
une communauté de vie " et que " la résidence
de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord
" , ainsi que l'article 220.1, qui prévoit que "
si l'un des époux manque gravement à ses devoirs
et met ainsi en péril les intérêts de la
famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes
les mesures urgentes que requièrent ces intérêts
" ;
- les obligations parentales fixées
par ce même code et les sanctions prévues par celui-ci
dans les cas où elles ne sont pas respectées :
déchéance (art. 378 et suivants), perte ou privation
provisoire de l'autorité parentale (art. 373 et suivants)
;
- l'article 371.4 du code civil, disposant
que " les père et mère ne peuvent, sauf motifs
graves, faire obstacle aux relations personnelles de l'enfant
avec ses grands parents " et qu'en considération
de situations exceptionnelles, le " juge aux affaires familiales
" peut accorder un droit de correspondance ou de visite
à d'autres personnes, parents ou non ;
- les peines en matière de
délaissement de mineur, d'abandon de famille, d'atteintes
à l'exercice de l'autorité parentale ou à
la filiation ou de mise en péril des mineurs (articles
227.1 et suivants du nouveau code pénal).
- De nombreuses dispositions permettent de
sanctionner les atteintes à l'intégrité physique,
qu'il s'agisse :
- d'enlèvements et séquestrations
(art. 341 et suivants et 354 et suivants du code pénal
; art. 224.1 et suivants du nouveau code pénal) ;
- de coups et blessures (art. 309
et suivants du code pénal ; art. 222.7 et suivants du
nouveau code pénal) ;
- de tortures (art. 303 du code pénal
; art. 222.1 et suivants du nouveau code pénal) ;
- de non assistance à personne
en danger (art. 63 du code pénal ; art. 223.6 et suivants
du nouveau code pénal) ;
- d'homicide (art. 296 et suivants
du code pénal ; art. 221.1 et suivants du nouveau code
pénal) ;
- de viol (art. 332 et suivants du
code pénal ; art. 222.23 et suivants du nouveau code
pénal) et d'agressions sexuelles (art. 222.22 et suivants
du nouveau code pénal) ;
- de prostitution et de proxénétisme
(art. 334 et suivants du code pénal ; art. 225.5 et suivants
et R.625.8 du nouveau code pénal) ;
- d'incitation à la débauche
et de corruption de mineurs (art. 334.2 du code pénal
; art. 227.22 du nouveau code pénal) ;
- des dangers menaçant la santé,
la sécurité ou la moralité d'un mineur
non émancipé ou les conditions de son éducation
(art. 375 et suivants du code civil, permettant à la
justice d'ordonner des mesures d'assistance éducative).
- S'agissant de l'embrigadement des enfant,
outre les dispositions précitées permettant de s'opposer
aux ruptures avec l'environnement d'origine, il peut être
fait application des règles concernant l'obligation scolaire
(loi du 28 mars 1882, ordonnance no 59.45 du 6 janvier 1959 et
décret no 66.104 du 18 février 1966 sur l'obligation
scolaire et décret no 59.39 du 2 janvier 1959 sur les bourses)
et des sanctions pour détournement de mineur (art. 354
et suivants du code pénal ; art. 227.7 et suivants du nouveau
code pénal).
- Les principes de liberté de pensée
et d'expression empêchent évidemment que les sectes
qui développent un discours anti-social puissent être
inquiétées pour ce motif, pouvant seuls être
sanctionnés, les cas échéant, les actes de
diffamation ou d'injure à l'égard des institutions
publiques ou de leurs représentants (art. 30 et suivants
de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
; article 1er de la loi du 11 juin 1887 concernant la diffamation
et l'injure commises par les correspondances postales ou télégraphiques
circulant à découvert) ;
- En matière de troubles à l'ordre
public, le dispositif est à la fois préventif et
répressif.
Concernant les mesures préventives,
il s'agit de l'ensemble des dispositions qui permettent de garantir
la sécurité, la tranquilité, la santé
et la morale publiques. On peut citer, par exemple, les règles
de sécurité dans les établissements recevant
du public (art. R 123-1 et suivants du code de la construction
et de l'habitation), dans les établissements privés
d'enseignement (loi du 15 mars 1850 sur l'enseignement, loi
du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire,
loi no 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre
l'Etat et les établissements d'enseignement privé,
décret no 60-389 du 22 avril 1960, relatif aux contrats
d'association à l'enseignement public passé par
les établissements d'enseignement privé), ou la
réglementation de la publicité en faveur de matériels
et procédés thérapeutiques (art. L 551
et suivants et R 5055 et suivants du code de la santé
publique). On peut noter à cet égard que l'appréciation
du trouble à l'ordre public ne paraît pas toujours
très sévère à l'égard des
sectes, en comparaison de la façon dont elle est portée
à l'étranger, comme en témoigne le fait
que le révérend Moon a récemment pu tenir
une conférence dans notre pays alors que l'autorisation
lui en a été refusée dans plusieurs pays
européens.
En matière répressive,
on peut évoquer, entre autres, outre le principe général
de l'article 3 de la loi du 1er juillet 1901 précité,
l'article 7 de cette même loi, fixant les modalités
de dissolution des associations fondées sur une cause
ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes
moeurs ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité
du territoire national et à la forme républicaine
du Gouvernement, son titre V régissant la police des
cultes ou les dispositions permettant la dissolution des groupes
de combat et milices privées (loi du 10 janvier 1936
relative aux groupes de combat et milices privées, art.
1er).
- Concernant les démélés
judiciaires, il convient, comme on l'a vu, de distinguer deux
cas :
- les poursuites dont certaines sectes
font l'objet en raison du caractère délictueux
ou préjudiciable de leurs actes, qui, tout en révélant
un danger, sont elles-mêmes une sanction ;
- les actions qu'elles intentent à
l'égard des personnes qui ont, selon elles, terni leur
image, contre lesquelles celles-ci peuvent faire valoir, selon
les cas, le délit de diffamation ou d'injure (art. 30
et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
de la presse), les atteintes à la personnalité
(atteintes à la vie privée (art. 226-1 et suivants
du nouveau code pénal) ; atteintes au secret (art. 226-13
et suivants de ce code) ; dénonciation calomnieuse (art.
226-10 et suivants de ce code) ; atteintes aux droits de la
personne résultant des fichiers informatiques (art. 226-16
et suivants de ce code), ou celles relatives au secret des correspondances
(art. 226.15 de ce code) ou à l'inviolabilité
du domicile (art. 226-4 et suivants de ce code)), ainsi que
l'article 700 du nouveau code de procédure civile (condamnation
aux dépens ou aux frais exposés non compris dans
les dépens).
- Les détournements des circuits économiques
peuvent être sanctionnés notamment par la direction
générale des impôts et la direction générale
des douanes, pour les violations des règles du droit fiscal,
l'inspection du travail, pour les infractions au code du travail,
les différents services de sécurité sociale,
pour non respect du code de la sécurité sociale.
Comme cela a déjà été signalé,
votre Commission regrette toutefois le trop faible nombre des
contrôles opérés, par manque de moyens et/ou
en raison d'une insuffisante sensibilisation des services concernés
aux problèmes posés par les sectes.
Le droit français offre donc,
on le voit, beaucoup de moyens - d'autant que la liste ci-dessus
n'est pas exhaustive - pour parer aux différents dangers
présentés par certains mouvements sectaires. Force
est de constater cependant que les dispositions évoquées
ci-dessus ne sont que - trop- rarement utilisées pour
réprimer les actes répréhensibles commis
par certaines sectes. Le problème n'est donc pas tant
de réformer un dispositif que votre Commission estime
globalement adapté à la lutte contre les dérives
sectaires que de l'appliquer avec la détermination nécessaire.
2.- Une réforme
radicale ne paraît pas souhaitable
Un certain nombre de personnes engagées
à un titre ou à un autre dans la lutte contre
les dangers que présente le phénomène sectaire
considèrent que le dispositif juridique actuel devrait
être profondément réformé. Les réflexions
menées en ce domaine prennent deux directions différentes,
les uns estimant nécessaire d'élaborer un régime
juridique spécifique aux sectes, les autres étant
favorables à la reconnaissance des sectes comme religions
à part entière. Sans méconnaître
l'intérêt de ces démarches, votre commission
est parvenue à la conclusion qu'il ne serait ni utile
ni opportun de bouleverser notre édifice juridique.
a) L'inopportunité
d'un régime juridique spécifique aux sectes
Créer un régime juridique
propre aux sectes pour répondre aux dangers spécifiques
qu'elles présentent peut paraître a priori une
idée séduisante.
En effet, plusieurs arguments militent
en ce sens.
En premier lieu, il est vrai que le
phénomène sectaire a des caractéristiques
intrinsèques : la séparation avec les religions
traditionnelles, la fréquente présence d'un gourou
ou les fortes contraintes souvent imposées aux adeptes
en témoignent. D'où l'idée qu'à
ce phénomène singulier devrait correspondre un
cadre juridique propre.
D'autre part, il s'agit, on l'a vu,
d'un phénomène qui tend à s'amplifier et
dont les formes changent. Il pourrait donc, là encore,
justifier une adaptation du droit.
Troisièmement, il présente
des dangers importants et multiples justifiant une action de
plus grande ampleur des pouvoirs publics, ce qui passe le plus
souvent par la mise en place de dispositifs juridiques nouveaux.
Certains spécialistes considèrent,
en outre, que notre arsenal juridique n'est pas parfaitement
bien adapté aux problèmes posés par les
sectes. Ainsi, par exemple, le colonel Morin développe-t-il
la thèse, exposée notamment dans Sectarus, selon
laquelle le droit français ne permet pas de réprimer
le viol psychique et déplore cette lacune.
Voici, par ailleurs, comment l'UNADFI,
dans le numéro 36 (4ème trimestre de 1992) de
sa revue " Bulles " , consacré aux sectes et
au droit, envisage la question :
" Dès lors, sans en méconnaître
la difficulté et même l'apparente impossibilité,
est-il vraiment exclu de légiférer en la matière
? De même qu'un prévenu peut être relaxé
du délit de diffamation s'il rapporte la preuve de la
vérité des faits diffamatoires, de même
ne pourrait-on reconnaître qu'un délit de "
manipulation " est constitué à condition
de pouvoir rapporter la preuve de la vérité des
faits manipulatoires ?
" Pour ce faire, il ne serait
pas forcément nécessaire de recourir à
des expertises psychiatriques (des psychiatres peuvent aujourd'hui
encore ignorer le processus de la manipulation mentale pratiquée
par les sectes). Il semble qu'il soit possible d'apporter la
preuve de la manipulation vécue dans une secte, à
partir de critères vérifiés dans des faits
précis, parfaitement démontrables, d'autant plus
probants qu'ils ne sont pas individuels ou isolés mais
collectifs et répétitifs. Ces faits permettraient
de prouver que les adeptes ont perdu, en ce qui concerne les
pratiques perverses de la secte, leur esprit critique et leur
libre arbitre et sont devenus parfois des inconditionnels fanatisés,
prêts à croire, dire et faire tout et n'importe
quoi. (...) "
Et de citer l'existence en Italie du délit
de " plaggio " , c'est-à-dire de l'envoûtement,
destiné à condamner toute pression exercée
sur une personne par des moyens de fascination personnelle relevant
de la supériorité sociale ou culturelle.
D'autres spécialistes insistent
enfin sur le fait que, non seulement le régime actuel
ne permet pas de lutter efficacement contre les dangers des
sectes, mais que, de plus, il traite de façon inégale
les différents mouvements spirituels. Le professeur Joël
Benoît d'Onorio note d'ailleurs sur ce dernier point dans
" La Semaine juridique " (no 20, 1988) :
" L'assemblage de textes épars peut révéler
un certain statut des institutions catholiques dans la communauté
nationale : la loi et le décret de 1901, puis la loi
de 1921 sur les congrégations religieuses, l'aide-mémoire
avec le Saint-Siège sur la consultation gouvernementale
préalable à la nomination des évêques,
l'échange de lettres diplomatiques de 1923 sur les associations
docésaines substituées, pour les catholiques,
aux associations cultuelles de 1905 refusées par Rome,
le concordat de 1801 pour les trois départements d'Alsace-Moselle
ainsi que la prise en compte par la jurisprudence de certains
éléments du droit canonique composent un ensemble
juridique spécial. A la vérité, on ne peut
rayer d'un trait de plume, fût-ce au moyen d'une loi voire
d'une Constitution, une expérience historique de plusieurs
siècles : la France est un pays laïque de tradition
catholique. Elle est devenue, en quelque sorte, " catholaïque
" .
" Dans une certaine mais moindre
mesure, vu leur représentativité sociologique,
les autres cultes anciennement reconnus (protestant et israélite)
bénéficient aussi d'un traitement particulier
de la part des pouvoirs publics qui ont appris à les
connaître depuis bientôt deux siècles, ce
qui n'est pas le cas pour les nouveaux mouvements religieux
même inoffensifs.(...) "
D'où l'idée qu'il conviendrait
d'élaborer un régime juridique propre aux nouveaux
mouvements spirituels, susceptible à la fois de garantir
qu'ils se conforment aux lois de la République et de
mieux les reconnaître. Il pourrait, selon certains, prendre
la forme d'un concordat ou de conventions passés avec
ces mouvements. Ainsi par exemple, Philippe Gast écrit-il
dans " Les Petites affiches " (no 90, 28/07/1995)
: " A l'heure où l'actualité amène
régulièrement les délires de telle ou telle
secte, ou les abus de telle ou telle religion, il convient de
se pencher sur la nécessaire élaboration de critères
permettant de distinguer les mouvements religieux et les "
mauvaises " sectes des " bonnes " . Pour cela,
il faut d'abord envisager quelques réflexions conceptuelles
sur ce thème avant de tenter d'élaborer des solutions
positives qui pourront donner lieu à une charte des mouvements
spirituels authentiques. "
Au terme de ses travaux, il n'apparaît
toutefois pas souhaitable à votre commission de préconiser
l'élaboration d'un régime juridique spécifique
aux sectes.
Une telle entreprise se heurterait
d'abord à un problème de définition. On
a vu, en effet, combien il était difficile de définir
la notion de sectes et les limites que présentaient les
différentes approches possibles. Or, la mise au point
d'un régime juridique propre aux sectes obligerait nécessairement
à faire un choix en faveur de l'une d'elles, ce qui ne
manquerait pas de prêter le flanc à toutes les
contestations.
Supposons, par exemple, que l'on retienne
l'acception la plus large, et que l'on considère comme
des sectes l'ensemble des nouveaux mouvements spirituels, par
différence avec les religions traditionnelles : comment
alors justifier que ces mouvements, qui peuvent parfois présenter
les mêmes caractéristiques qu'elles, soient soumis
à un régime différent ? Comment expliquer
aussi qu'on applique un même droit spécifique à
des phénomènes aussi dissemblables que des courants
spirituels pacifiques et des sectes dangereuses ? Si l'on optait,
au contraire, pour une définition restrictive, selon
laquelle les sectes correspondent à l'ensemble des mouvements
spirituels présentant des dangers pour l'individu ou
la collectivité, le problème se poserait alors
de savoir quel(s) critère(s) de dangerosité choisir.
Or, le caractère multiforme, nuancé et changeant
du phénomène rend à l'évidence cette
entreprise pour le moins périlleuse.
En deuxième lieu, ce régime
paraît peu compatible avec plusieurs de nos principes
républicains.
En effet, il conduirait à ne
pas traiter de façon identique tous les mouvements spirituels,
ce qui risquerait de porter atteinte, non seulement au principe
d'égalité, mais aussi à celui de la neutralité
de l'Etat vis-à-vis des cultes.
D'autre part, dans la mesure où
il aurait notamment pour but d'empêcher les " dérives
" sectaires, il se traduirait probablement par un encadrement
plus étroit des activités des sectes auquel il
serait très difficile de parvenir sans toucher aux libertés
de religion, de réunion ou d'association.
Troisièmement, les arguments
invoqués à l'appui de cette proposition ne semblent
pas pertinents.
On a vu, en effet, que le droit français
ne manquait pas de ressources pour combattre les dangers présentés
par les sectes, bref qu'améliorer la situation actuelle
supposait moins l'adaptation du dispositif existant que son
application effective.
En ce qui concerne l'argument selon
lequel le droit positif ne permettrait pas de combattre certaines
formes de manipulation mentale telles ce que certains qualifient
de viol psychique, il convient d'observer que les sanctions
prévues par le nouveau code pénal à l'encontre
de l'escroquerie, de l'exercice illégal de la médecine,
de l'abus de faiblesse ou de l'abus de vulnérabilité
constituent de bons moyens de défense face à ce
genre de pratiques. D'autre part, il semble, en fait, difficile
d'aller plus loin dans la répression des méthodes
de persuasion, sous peine de porter atteinte au principe de
la liberté d'expression.
Enfin, si l'ensemble des croyances
spirituelles et religieuses ne sont pas soumises au même
régime, elles ne sont pas non plus dans la même
situation, ne serait-ce que parce que certaines présentent
des dangers et d'autres pas. Il est vrai toutefois que certaines
différences ne s'expliquent que pour des raisons historiques
: c'est notamment le cas pour le régime spécial
d'Alsace-Moselle.
L'idée de créer un régime
juridique spécifique aux sectes a, d'ailleurs, dans l'ensemble,
été rejetée par les pouvoirs publics et
les spécialistes.
Ainsi, la Commission nationale consultative
des droits de l'Homme déclare-t-elle, dans son avis du
10 décembre 1993, qu'elle " estime que la liberté
de conscience garantie par la Déclaration des droits
de l'Homme et du citoyen (1789), par la Déclaration universelle
des droits de l'Homme, par la Convention européenne des
droits de l'Homme (article 9) rend inopportune l'adoption d'une
législation spécifique au phénomène
dit des sectes, qui risquerait de porter atteinte à cette
liberté fondamentale " .
De même, Alain Vivien déclarait-il
dans une interview accordée au " Figaro " le
29 avril 1992 : " Il ne faut pas créer de législation
particulière au risque de faire apparaître les
sectes pour des martyrs. L'arsenal dont nous disposons est tout
à fait suffisant, il suffit de l'appliquer ! " .
Enfin, au cours de ses travaux, votre
commission n'a guère entendu soutenir l'idée d'une
législation spécifique aux sectes, les rares personnes
qui y seraient favorables dans l'absolu convenant qu'en fait
toute initiative en ce sens serait à tout le moins inopportune.
b) Les risques
d'une reconnaissance des sectes comme religions à part
entière
D'aucuns considèrent qu'il
conviendrait, sans créer de régime spécifique,
de reconnaître les nouveaux mouvements religieux comme
des religions à part entière.
Cette idée a été
défendue, notamment au cours d'un colloque sur les Témoins
de Jéhovah, organisé le 26 novembre 1993 à
l'Assemblée nationale par le Centre de formation et d'études
judiciaires.
La raison principale invoquée
à l'appui de cette thèse, est que, bien qu'étant
des religions, ces mouvements ne bénéficient pas
du même statut que les religions traditionnelles.
Il est vrai, on l'a vu, que le statut d'association
cultuelle et de congrégation est en général
refusé aux mouvements communément appelés
sectes. De plus, on peut arguer que leur accorder le bénéfice
de ce statut permettrait aux pouvoirs publics de mieux les contrôler.
Toutefois, cette idée ne semble
pas devoir être retenue.
En effet, on ne voit pas comment il
serait possible de reconnaître comme religions à
part entière des mouvements qui, comme un certain nombre
de sectes, soit ne poursuivent pas un but exclusivement religieux,
soit ont des pratiques contraires à l'ordre public et
aux droits et libertés d'autrui.
De ce point de vue, l'équilibre
sur lequel repose la loi du 9 décembre 1905 entre la
liberté de conscience et d'association, d'une part, et
le respect de l'ordre public, d'autre part, n'a pas lieu d'être
remis en cause.
Cela dit, il est parfaitement normal
que les mouvements dont l'objet est exclusivement cultuel et
qui se conforment aux lois de la République se voient
reconnaître, à leur demande, le statut d'association
cultuelle ou de congrégation. Mais c'est, en application
de la loi, à l'administration, voire au juge administratif
en cas de contentieux, qu'il appartient d'examiner si ces conditions
sont effectivement remplies.
Il n'est donc pas nécessaire
de procéder à une réforme radicale du régime
juridique existant pour résoudre les problèmes
posés par les sectes ; il s'agit, en fait, plutôt,
en s'appuyant sur lui, d'imaginer les moyens pratiques d'y faire
face.
B.- POUR UNE REPONSE PRAGMATIQUE AU PHENOMENE SECTAIRE
Votre Commission est donc bien convaincue,
d'une part, de l'impossibilité, tant juridique que de
fait, de s'orienter dans la voie d'une législation spécifique
destinée à lutter contre les agissements des sectes
en ce qu'ils peuvent être considérés comme
dangereux, d'autre part des risques que comporterait l'inaction
fondée sur une conception poussée à l'extrême
de la liberté de conscience. Il lui apparaît dès
lors que la seule riposte adaptée au phénomène
sectaire ne peut être, pour des raisons à la fois
de principe et de faisabilité, que pragmatique et diversifiée,
de façon à prendre en compte le mieux possible
une réalité complexe.
Plusieurs interlocuteurs de la Commission
lui ont fait part des réflexions qu'ils mènent,
pour certains depuis de fort nombreuses années, sur les
moyens aptes à lutter contre les dangers que font courir
certaines sectes aux individus et à la société.
Tous, y compris ceux qui dans l'absolu seraient partisans d'une
législation spécifique anti-sectes mais conviennent
que telle ne peut pas être la solution, adoptent une démarche
comparable, faite de réalisme et de pragmatisme, même
s'ils ne donnent pas nécessairement la priorité
aux mêmes mesures, ce qui ne fait que refléter
la diversité des horizons dont ils proviennent.
Une telle approche conduit aujourd'hui
votre Commission à considérer que le dispositif
susceptible de lutter avec efficacité contre les dangers
que font peser les sectes sur les individus et la société
doit s'articuler autour de trois axes principaux : l'amélioration
de la connaissance des sectes et de la diffusion de cette connaissance
; l'application plus stricte du droit existant ; le renforcement
sur quelques points de la législation existante. Par
ailleurs, il convient d'aider de manière plus efficace
les anciens adeptes qui se trouvent parfois totalement démunis
sur le plan matériel et psychologique et auxquels n'est
actuellement offerte aucune forme d'assistance correspondant
à leurs besoins.
1.- Mieux connaître et faire connaître
Combattre de façon efficace
et équitable les " dérives " sectaires
suppose avant tout d'avoir une bonne connaissance du phénomène.
Faute de bien le cerner, on risque, en effet, de mal apprécier
les dangers qu'il peut présenter et, ainsi, de mettre
en oeuvre pour y remédier des moyens inadéquats.
Encore faut-il aussi que l'information
ainsi recueillie fasse l'objet d'une diffusion appropriée,
fondement d'une politique de prévention qui reste, votre
Commission en est convaincue, le meilleur moyen de lutte contre
le développement du phénomène sectaire.
Cette action de diffusion de la connaissance sur les mouvements
sectaires et leurs pratiques doit être menée auprès
de l'ensemble des services administratifs concernés et
du grand public, en particulier des jeunes.
a) Mieux connaître
Force est de reconnaître qu'on
ne dispose pas aujourd'hui d'une connaissance suffisamment précise
du phénomène sectaire.
Ainsi a-t-on vu, par exemple, à
quel point il était difficile de mesurer son importance
quantitative - que ce soit en nombre d'adeptes ou de groupements
- ou d'apprécier de manière précise sa
progression.
Il apparaît à votre Commission
qu'il serait opportun pour combler cette lacune de créer
un observatoire d'étude des sectes, qui ne pourra pleinement
jouer son rôle que si parallèlement est amélioré
le dispositif d'information et d'analyse existant au sein de
chaque ministère.
1. Créer un observatoire
interministériel rattaché au Premier ministre
Il n'existe aujourd'hui en France
aucune structure dotée de moyens suffisants pour suivre
avec précision l'ensemble du phénomène
sectaire.
Certes, le ministère de l'Intérieur
collecte grâce à une quarantaine d'agents des Renseignements
généraux répartis sur tout le territoire,
une information riche sur l'implantation des sectes, leurs effectifs
et leurs agissements. Mais il ne peut s'agir que d'une information
partielle. Les services de police n'ont en effet pas les moyens
et il n'entre pas dans leurs missions de se livrer à
une analyse des aspects sociologiques, psychologiques, médicaux
ou juridiques du phénomène.
L'Institut des hautes études
de sécurité intérieure (IHESI) a, par ailleurs,
créé en 1992, un groupe de travail sur les sectes.
Toutefois, ce groupe n'a pas d'existence officielle. En outre,
il ne dispose pas de moyens suffisants pour assurer un suivi
global des activités sectaires.
Une mission d'étude a également
été mise en place au sein du ministère
des Affaires sociales. Depuis 1992, un agent de la Direction
de l'action sociale est chargé de suivre, entre autres
questions, celle des sectes. D'autre part, le ministère
a passé en 1993 avec l'Association pour une recherche
interdisciplinaire sur l'existence et la santé (ARIES)
une convention de recherche. Celle-ci prévoit que l'ARIES
remettra en 1996 au ministère un rapport d'étude
sur les sectes. Cela étant, ce dispositif est lui aussi
très limité en termes de moyens.
On ne saurait, enfin, négliger
le rôle important joué par les associations de
défense des victimes des sectes - Union nationale des
associations de défense des familles et de l'individu
(UNADFI) et Centre de documentation, d'éducation et d'action
contre les manipulations mentales (CCMM) - dans la collecte
et l'exploitation de l'information sur les mouvements sectaires.
Face à la progression du phénomène
sectaire et aux dangers que présentent certains mouvements,
un organisme d'étude doté d'une existence administrative
et juridique propres ainsi que de moyens spécifiques
apparaît donc nécessaire.
D'ailleurs, une telle structure est
réclamée depuis longtemps.
Déjà, en 1982, le rapport
Ravail avait suggéré la création d'une
commission interministérielle. En 1983, dans son rapport
au Premier ministre, M. Alain Vivien suggérait "
qu'un haut fonctionnaire soit désigné auprès
du Premier ministre pour suivre l'ensemble du problème
des sectes, coordonner la réflexion et, le cas échéant,
mobiliser les départements ministériels intéressés...
A l'initiative de ce haut fonctionnaire, la commission interministérielle
suggérée par le rapport Ravail pourrait se réunir
à chaque fois qu'il le faudrait sans nécessairement
sécréter une administration excessive dont la
rigidité présenterait sans doute bien des inconvénients
" .
La Commission nationale consultative
des droits de l'homme, dans son avis du 10 décembre 1993
concernant le phénomène dit des sectes, proposait
" que soit mise en place une structure de coordination
interministérielle destinée à faire périodiquement
le point sur l'évolution du phénomène dit
des sectes et à coordonner l'application des mesures
législatives et réglementaires pertinentes ; et
que soit créé un centre d'information publique
sur ces groupes, recueillant et diffusant toutes informations
et assurant une assistance juridique aux victimes " .
Cette idée a, en outre, été
défendue dans le cadre de la commission des questions
juridiques et des droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.
Ainsi, Sir John Hunt, dans son rapport de 1991 sur les sectes
et les nouveaux mouvements religieux, affirmait-il que "
des organismes indépendants devraient être créés
pour collecter et diffuser une information concrète et
objective sur la nature et les activités des sectes.
"
Par ailleurs, de nombreuses personnes entendues
par la commission d'enquête ont suggéré
la création d'un observatoire interministériel.
Cet organisme devrait assurer trois
missions principales :
- étudier et suivre le phénomène,
en liaison notamment avec les services administratifs concernés
(ministères de l'Intérieur, des Affaires sociales,
de la Justice, des Finances, de l'Education nationale, des Affaires
étrangères...), dans une approche pluridisciplinaire,
tant sociologique, économique, administrative que juridique
et médicale.
- informer le Premier ministre et,
avec son autorisation, les services administratifs concernés,
du résultat de ses observations et de ses études,
notamment s'agissant des problèmes d'actualité.
- faire des propositions au Premier
ministre visant à améliorer les moyens de lutte
contre les dangers des sectes, qui pourraient faire l'objet
d'un rapport annuel d'activité qui serait rendu public.
Cet organisme devrait être doté
d'un statut qui lui permette de remplir au mieux ses missions.
Sans entrer dans le détail, il paraît souhaitable
qu'il présente les principales caractéristiques
suivantes :
être un service interministériel
directement rattaché au Premier ministre, comme le sont,
par exemple, la Commission pour la simplification des formalités
(COSIFORM), le Collège de la prévention des risques
technologiques ou le Comité central d'enquête sur
le coût et le rendement des services publics. Le rattachement
à tel ou tel ministère n'aurait en effet pas de
justification, s'agissant d'un phénomène qui touche
aux attributions de plusieurs.
être un observatoire, car il
ne s'agirait, ni d'assumer une fonction de gestion ou d'exécution
comme un service administratif classique, ni de disposer d'un
pouvoir propre de décision.
être composé de personnes
susceptibles, par leurs compétences diversifiées,
d'assurer la nécessaire approche pluridisciplinaire du
phénomène. Les membres de cette instance, nommés
par le Premier ministre, devraient donc comprendre, outre des
représentants de tous les services administratifs concernés,
des spécialistes de diverses disciplines, sociologues,
juristes et médecins notamment. Il serait peut-être
préférable, afin de garantir à ces membres
une parfaite indépendance et de les protéger contre
tout risque de pression, que leur nom ne soit pas rendu public.
disposer de moyens propres. Pour accomplir
ses missions, l'observatoire devrait avoir des ressources financières
spécifiques, même si on aurait sans doute intérêt
à retenir, dans un premier temps, l'idée d'une
structure légère dotée des moyens juridiques
adaptés à l'accomplissement de sa mission. Il
faudrait ainsi lui donner le pouvoir d'obtenir auprès
de toute personne communication d'un document, sous réserve
du secret professionnel, du secret concernant la défense
nationale, la sûreté de l'Etat ou la politique
extérieure, et du respect de la vie privée.
Compte tenu de l'importance du travail
déjà réalisé au sein du groupe constitué
à l'Institut des hautes études de sécurité
intérieure, il serait sans doute de bonne méthode
d'utiliser, dans le cadre du nouvel observatoire tel que défini
ci-dessus, les compétence qui ont maintenant fait leurs
preuves sur le sujet.
2. Améliorer dans chaque
ministère concerné le dispositif d'étude
des sectes
La connaissance des mouvements sectaires
par les ministères concernés a incontestablement
beaucoup progressé au cours des dernières années.
La mise en place par la Direction
centrale des Renseignements généraux d'un maillage
d'agents - les " correspondants sectes " - chargés
de suivre localement le phénomène, la réalisation
d'un guide des mouvements sectaires en 1994 et son projet actuel
d'une banque de données interne l'attestent. La mission
d'étude créée à la Direction de
l'action sociale en 1992 en témoigne également.
Toutefois, le dispositif pourrait
encore être amélioré. Ainsi, le compte-rendu
de la réunion interministérielle du 9 avril 1991
précise-t-il que " les services sont parfois dans
l'ignorance de la nature de secte de certaines associations
" . Ainsi, il n'existe, semble-t-il, aucune personne chargée
de suivre particulièrement le problème des sectes
aux ministères de l'Education nationale, de la Justice
ni des Affaires étrangères.
Dans ces conditions, il serait utile
que chaque ministère concerné engage une réflexion
sur les moyens d'améliorer sa connaissance des sectes
et de mieux faire face aux problèmes qu'elles soulèvent.
Il serait également opportun
que, dans chacun d'eux, soit désignée une personne
chargée de suivre ces questions, au besoin en liaison
avec l'observatoire interministériel dont la création
a été préconisée ci-dessus, de façon
à éviter que, comme c'est parfois le cas aujourd'hui,
deux services fassent chacun de leur côté, le même
travail.
Enfin, il serait souhaitable que les
ministres intéressés, par la voie d'une circulaire
ou d'une instruction, attirent l'attention de leurs services
sur les problèmes posés par les sectes et leur
indiquent les principes devant guider leur action pour y répondre.
b) Mieux faire connaître
La plupart des personnes auditionnées
par la Commission ont été d'accord sur au moins
un point. La prévention est certainement le mode d'action
qui doit être privilégié dans la lutte contre
le développement des sectes. L'information, notamment
des jeunes, apparaît donc comme un maillon essentiel du
dispositif à mettre en oeuvre.
Certes, les associations de défense
des victimes et les media mènent déjà certaines
actions en ce sens.
Ainsi, outre les publications qu'il
assurent, l'UNADFI et le CCMM organisent régulièrement
des conférences ou des réunions d'information
dans divers établissements tels que des écoles,
des lycées, des clubs ou des hôpitaux. Le CCMM
a même réalisé en 1993, avec l'aide de l'association
" Je, tu, il " , un film d'une demie-heure intitulé
" Les sectes... les pièges ! " , présentant
quatre scènes de la vie courante pouvant donner lieu
à un recrutement. L'UNADFI devrait, elle, sortir prochainement
un court métrage sur le sujet, destiné à
servir de support aux réunions qu'elle organise.
Toutefois, les interventions de ces
associations sont, par nature, ponctuelles et localisées.
D'autre part, leur message peut toujours être suspecté
d'être partisan. Un membre d'une de ces associations déclarait
d'ailleurs à la Commission : " Les associations
n'ont pas toujours les moyens d'investigation. Je ne dis pas
qu'elles sont suspectes et sectaires, mais elles manquent de
moyens, parfois de distance. Ce n'est pas l'idéal. On
ne peut se substituer aux procureurs, jouer les inquisiteurs.
Nous recevons des signalements ; il nous faut parfois six mois
ou un an pour recouper des informations. C'est extrêmement
compliqué. " .
Les media, de leur côté,
se sont beaucoup intéressés à la question
des sectes au cours des dernières années, notamment
à la suite du drame de Waco au Texas en avril 1993, de
la mort de cinquante-huit membres du Temple du Soleil en Suisse
en octobre 1994 et de l'attentat perpétré par
la secte Aum à Tokyo en mars dernier. Le problème
est que cette information est intermittente et focalisée
principalement sur les aspects les plus folkloriques ou sensationnels.
Comme le déclarait un spécialiste reconnu de la
question à la Commission : " journalistes] aiment
le sensationnel. Nous entretenons avec eux les rapports les
meilleurs du monde, mais je suis extrêmement déçu.
Chaque fois que l'on tue trente personnes, je passe à
la télévision et puis cela retombe jusqu'à
la prochaine fois. Quand je suis informé d'une mesure,
je me dis : " Je vais avoir cinq télés à
faire, plus trois radios, plus... " . Ensuite, cela retombe
pour six mois ou un an (...). "
Il convient donc que l'Etat prenne lui-même
largement en charge la diffusion de l'information sur les dangers
que peuvent présenter les sectes, auprès du public
le plus large possible par une campagne médiatique, et
de manière " ciblée " auprès
des enfants et des adolescents au sein de l'Education nationale.
Cette action d'information devrait être complétée
par une amélioration de la formation des professionnels,
et notamment des fonctionnaires, concernés par le problème.
1. Informer les jeunes par
l'Education nationale
Aucun dispositif général
d'information des élèves n'a pour l'instant été
mis en place dans le cadre de l'Education nationale.
Toutes les sources le confirment,
les recrutements sont particulièrement nombreux chez
les jeunes, parce qu'ils peuvent présenter une certaine
fragilité, que leur jugement n'est pas définitivement
formé et qu'ils sont enclins à rechercher des
idéaux que certaines sectes prétendent offrir.
La nécessité de consentir un effort d'information
en leur direction a été soulignée par de
nombreux interlocuteurs de la Commission. Or, rien n'est fait
actuellement en ce sens au sein de l'Education nationale.
Il serait donc souhaitable que l'on
inscrive dans les programmes d'instruction civique l'étude
du phénomène sectaire.
Par ailleurs, il faudrait organiser
chaque année une réunion d'information dans l'ensemble
des établissements scolaires, du primaire au supérieur,
pour sensibiliser les jeunes à cette question. Toutefois,
il est essentiel que cette information soit parfaitement objective.
La difficulté d'une telle entreprise tient à la
nécessité de dispenser une information qui ne
puisse être suspectée de partialité, alors
que l'objectivité est une notion particulièrement
délicate à définir et à mettre en
oeuvre dans ce domaine. Pour y tendre au maximum, ces sessions
d'information devraient être organisées sous l'autorité
de plusieurs enseignants qui auraient reçu des instructions
à cet effet. La création d'un support vidéo
réalisé sous le contrôle de l'Education
nationale constituerait un outil pédagogique appréciable.
2. Organiser une campagne d'information
du grand public, notamment par le canal des chaînes de
télévision publiques
Au-delà des jeunes, il convient
d'informer l'opinion publique tout entière des dangers
que peuvent présenter certaines sectes.
En effet, il est utile que les parents
soient informés, car la sensibilisation à ces
problèmes passe aussi par l'éducation qu'ils donnent
à leurs enfants. D'autre part, les adultes aussi peuvent,
et en grand nombre, se laisser piéger. Cette information
générale du public s'avère également
nécessaire pour éviter que les responsables publics
ou privés ne soient amenés, en toute bonne foi,
à apporter leur soutien à des associations nuisibles
faute de connaître leurs activités véritables.
On a vu, en effet, que de nombreuses sectes tentaient de "
s'infiltrer " dans les plus hautes sphères de l'Etat,
de séduire des collectivités locales ou négocier
des conventions avec des entreprises nationales ou privées.
Seule une information à grande
échelle pourra réduire ces influences.
Votre Commission propose donc que
le Gouvernement organise une vaste campagne d'information notamment
télévisée - en s'appuyant au premier chef
sur les chaines publiques - mais recourant également
aux autres média.
Cette campagne pourrait être
organisée par le Comité français d'éducation
pour la santé, au même titre que cette institution
organise des campagnes contre le SIDA ou la toxicomanie.
3. Etendre et perfectionner
la formation des personnes qui, dans le cadre de leurs activités
professionnelles, notamment les fonctionnaires, sont confrontées
aux problèmes posés par les sectes
Il est apparu nécessaire à
la Commission d'enquête au cours de ses travaux que les
personnes qui sont à un titre ou à un autre confrontées
aux problèmes des sectes dans leurs activités
professionnelles, les fonctionnaires en particulier, reçoivent
une formation ad hoc dans ce domaine.
On ne saurait, en effet, trop oublier
combien le phénomène est à la fois vaste,
complexe et clandestin. Car, comme l'affirment plusieurs spécialistes
de la question, " les sectes avancent souvent masquées
" .
Les personnes concernées sont
principalement les policiers et les gendarmes, les magistrats,
les enseignants, les personnels sociaux, mais aussi les médecins
et les notaires.
Il semble donc opportun de prévoir,
dans la formation initiale ainsi que dans la formation continue
des agents publics, mais aussi des personnes du secteur privé
concernées, des programmes ou , à tout le moins,
des actions de sensibilisation - sous la forme de conférences
par exemple - sur les problèmes posés par les
sectes et les moyens auxquels ils peuvent recourir pour y porter
remède.
La Direction centrale des Renseignements
généraux (DCRG) a montré la voie en ce
domaine au cours de la période récente. Ainsi,
depuis trois ans, les élèves-commissaires, les
élèves-inspecteurs et les inspecteurs nouvellement
affectés aux RG reçoivent une formation relative
aux sectes. D'autre part, la DCRG organise une fois par an une
ou deux journées de formation à l'attention des
agents chargés de suivre les sectes.
Il apparaît indispensable, à
cet égard, qu'une formation spécifique soit également
prodiguée aux élève de l'Ecole nationale
de la magistrature, à ceux des écoles de commissaires
et d'inspecteurs de police, de gardiens de la paix, ainsi que
de gendarmerie. Il est également important que les élèves-professeurs
et ceux qui se préparent à la profession de médecin
ou de notaire en bénéficient.
2.- Mieux
appliquer le droit existant
On ne reviendra pas sur l'arsenal
juridique permettant de lutter contre les dangers des sectes,
dont on a vu qu'il était diversifié et suffisant
pour couvrir l'ensemble des agissements des mouvements sectaires
qui présentent un caractère nuisible pour les
individus et/ou la société. Mais les travaux qu'a
menés la Commission l'ont très vite conduite à
avoir l'impression - devenue certitude au terme de sa réflexion
- que les possibilités offertes par les dispositions
existantes ne sont pas toujours - loin s'en faut - pleinement
utilisées.
Plusieurs interlocuteurs de la Commission
ont ainsi affirmé qu'il existait une disproportion sensible
entre le nombre d'illégalités commises par les
sectes, celui des plaintes et celui des condamnations. D'autres
se sont étonnés du petit nombre de dissolutions
administratives ou judiciaires prononcées au regard du
nombre d'associations coercitives existantes.
Votre Commission est donc convaincue
que le développement des sectes pourrait être efficacement
freiné par une meilleure application du droit. Celle-ci
suppose une sensibilisation accrue des professionnels concernés
à la dangerosité du phénomène sectaire
et à la nécessité de mobiliser tous les
moyens existants pour y faire face. Tout en étant bien
conscient qu'une telle évolution des mentalités
ne sera pas immédiate, votre Commission est persuadée
qu'elle est un des éléments - pour ne pas dire
l'élément essentiel - du dispositif de lutte contre
le phénomène sectaire. Cette prise de conscience
sera bien sûr favorisée par les actions générales
d'information dont il a été question ci-dessus.
Mais celles-ci doivent être complétées dans
certains domaines très directement concernés par
les agissements des mouvements sectaires, par des instructions
précises de l'Etat à ses agents sur l'attention
particulière dont ils doivent faire preuve. Une telle
démarche devrait, selon votre Commission, être
suivie à l'égard des magistrats du Parquet, des
services de police et de gendarmerie, des administrations exerçant
des fonctions de contrôle sur certaines activités
des associations de type sectaire, ainsi qu'en matière
de dissolution des associations et de versement d'un certain
nombre d'allocations, notamment le RMI.
1. Une instruction générale
du Garde des Sceaux aux magistrats du Parquet leur demandant
d'examiner avec plus d'attention les plaintes émanant
des victimes des sectes et de se saisir, chaque fois que nécessaire,
des problèmes dont ils pourraient avoir connaissance.
A de multiples reprises, il a été
indiqué à la Commission que le Ministère
public aurait refusé d'ouvrir une instruction ou de poursuivre
une information ouverte sur un dossier alors que, selon ceux
qui faisaient état de cette inaction, le cas l'aurait
tout à fait justifié.
Il convient de préciser, à
cet égard, que, selon le ministère de la justice,
sur les 60 plaintes relatives aux sectes adressées aux
parquets généraux des cours d'appel () entre 1990
et 1995, 27 procédures ont été clôturées.
Elles concernent notamment des faits d'escroquerie, de menaces
sous conditions, vols et violations de sépultures, homicides
involontaires, détournements de mineurs, séquestration
de personnes, non représentation d'enfant, violences,
injures, exercice illégal de la médecine, violences
et voies de fait. Sur ce total, 16 ont donné lieu à
un classement sans suite, 7 à un non-lieu et 3 à
une condamnation.
La commission n'entend pas porter
de jugement sur le fonctionnement de la Justice à cet
égard, d'autant qu'elle ne dispose pas des éléments
pour apprécier de façon précise les situations
en cause. Toutefois, elle ne peut totalement négliger
ces doléances, dont certaines lui ont paru, il est vrai,
a priori pertinentes. Au-delà même de leur caractère
plus ou moins exact, le fait qu'une telle opinion soit couramment
véhiculée est en lui-même très regrettable
car susceptible de décourager les victimes de sectes
de se tourner vers les tribunaux.
Il serait souhaitable, dans ces conditions,
que le Garde des Sceaux adresse une instruction générale
aux magistrats du Parquet afin d'attirer leur attention sur
l'étendue du phénomène sectaire, ses formes,
ses dangers, la nécessité de combattre plus efficacement
ceux-ci et les moyens juridiques existants pour ce faire. Il
leur serait demandé d'examiner avec plus de vigilance
les plaintes émanant des victimes des sectes et, si besoin
est, de se saisir eux-mêmes de problèmes dont ils
pourraient avoir connaissance.
2. Une instruction générale
du ministre de l'Intérieur aux services de police et
du ministre de la Défense aux services de gendarmerie
les enjoignant de manifester davantage de vigilance vis-à-vis
des " dérives " sectaires
Pour que les exactions commises par
les sectes puissent donner lieu à des poursuites et être,
le cas échéant, sanctionnées, encore faut-il
qu'elles puissent être constatées par les services
de police et de gendarmerie et que ceux-ci en saisissent le
Ministère public.
C'est la raison pour laquelle il conviendrait
que les ministres de l'Intérieur et de la Défense
attirent l'attention de leurs services concernés sur
le phénomène sectaire, la vigilance dont ils doivent
faire preuve à son sujet, ainsi que les mesures qu'ils
doivent prendre en cas d'infractions, notamment s'agissant de
la protection des victimes et de la saisine du Ministère
public.
3. Demander à l'administration
d'être plus rigoureuse dans ses missions de tutelle et
de contrôle à l'égard des sectes qui présentent
des dangers ou ne respectent pas la loi.
Il n'est pas acceptable que des administrations
et entreprises publiques puissent, comme cela s'est déjà
produit, passer des contrats de fourniture ou de services avec
des organismes liés à des sectes dangereuses ou
leur accorder des autorisations. Il n'est pas non plus tolérable
que certaines associations puissent en toute impunité
transgresser les règles du droit fiscal, du droit du
travail ou de la Sécurité sociale.
Il est donc nécessaire que
les ministres, chacun dans son domaine de compétence,
demandent à leurs services de manifester plus de rigueur
dans les passations de contrats avec des organismes extérieurs,
l'octroi d'autorisations et les missions de contrôle.
Dans cette démarche, les administrations devraient avoir
recours aux informations que serait en mesure de leur délivrer
sur leur demande l'observatoire interministériel dont
la création a été préconisée
ci-dessus.
4. Inciter les personnes publiques
à être plus prudentes dans l'octroi de subventions
à certaines associations.
Certaines sectes dangereuses, on l'a
vu, ont bénéficié de subventions publiques.
Certes, cela ne concerne, semble-t-il,
qu'un nombre de cas limités. Il serait tout de même
opportun que les personnes publiques examinent de façon
plus rigoureuse la destination des subventions qu'elles accordent
aux associations. Et ce, au besoin, en liaison avec l'observatoire
interministériel sur les sectes.
Le Premier ministre pourrait attirer
l'attention du Gouvernement sur ce point et le ministre de l'Intérieur,
DE l'ensemble des collectivités territoriales.
5. Prononcer la dissolution
des organismes mis en cause lorsque cela s'impose.
De nombreuses associations sectaires,
on l'a vu, violent la loi et constituent de véritables
dangers pour les individus et pour la société.
On ne peut, dès lors, que s'étonner du petit nombre
de celles qui se sont dissoutes. Ainsi, sur une soixantaine
d'associations sectaires coercitives déclarées
à Paris, aucune n'a fait l'objet d'une dissolution administrative
ou judiciaire.
Il serait donc souhaitable que les
procédures de dissolution existantes soient systématiquement
appliquées lorsque les conditions prévues par
la loi sont réunies. C'est particulièrement le
cas pour la procédure judiciaire.
Certes, cela ne constituerait pas
une réponse radicale. On constate, en effet, que les
sectes poursuivies en justice ou menacées de dissolution
manifestent une étonnante capacité à s'auto-dissoudre
et à se reconstituer sous la forme d'un autre organisme.
Ainsi, l'association des Pionniers du Nouvel Age a été
dissoute en janvier 1981, mais ses responsables se retrouvent
aujourd'hui dans l'Eglise de l'Unification, l'Association pour
l'Unification du Christianisme mondial et la Croisade internationale
pour un monde uni. De même, les responsables de l'Association
Dianétique, dissoute en 1982, poursuivent leurs activités
au sein de l'Association de Défense des Scientologistes
Français et ceux de la Méditation transcendantale
Paris Est, dans la Fédération française
de Méditation.
Il n'empêche que des dissolutions
systématiques et rapides pourraient avoir un fort effet
dissuasif. On peut penser que si, parallèlement, les
responsables sont poursuivis, voire condamnés, la recréation
de ces associations sera beaucoup plus difficile.
Il est, en tout état de cause,
important que les services de police essaient d'identifier les
associations qui sont en fait identiques à celles qui
auraient été dissoutes, et de vérifier
avec une attention particulière qu'elles se conforment
à la loi.
6. S'assurer que les bénéficiaires
de certaines allocations, membres d'une secte ne reversent pas
tout ou partie du montant de ces prestations à la secte
dont ils font partie.
D'après les informations fournies
à la Commission, il semblerait que les membres de certaines
sectes, bénéficiaires du revenu minimum d'insertion,
reversent intégralement ou en partie le montant de cette
allocation à la secte dont ils font partie. Une telle
pratique constitue à l'évidence un détournement
de l'objet du RMI. Votre Commission est bien consciente de la
difficulté pour les services compétents de repérer
l'existence de tels faits. Néanmois, ce type de dévoiement
ne peut qu'être extrêmement préjudiciable
à l'égard de la très grande majorité
des personnes qui bénéficient de cette prestation
conformément à la loi. Aussi, conviendrait-il,
lorsqu'il aura pu être constaté qu'un membre de
la secte reverse à celle-ci tout ou partie du RMI qu'il
perçoit, de rappeler à la personne concernée
ses obligations et, au besoin, suspendre le versement de l'allocation
tant que celles-ci ne sont pas respectées.
La même vigilance doit s'exercer
pour l'attribution d'autres allocations ayant une affectation
précise, par exemple les bourses.
7. Accroître la coopération
internationale, communautaire notamment.
Un renforcement de la coopération
internationale se révèle indispensable aujourd'hui.
En effet, beaucoup de sectes dangereuses
ont, comme on l'a vu, une dimension internationale. Elles pourront
donc d'autant plus facilement être démantelées
que les Etats seront en mesure de mettre en place une action
commune.
En outre, les sectes poursuivies en
France décident souvent de transférer leurs activités
à l'étranger. Comme l'écrit un groupe de
spécialistes dans un rapport confidentiel transmis à
la Commission : " ...l'exercice illégal de la médecine,
le non respect des règles élémentaires
contenues dans le code du travail français les obligent
à fuir vers des cieux plus favorables leur garantissant
une évasion fiscale ou leur permettant d'échapper
au règlement de leurs cotisations sociales obligatoires
" . Et de conclure : " une approche nationale ne permettant
pas à elle seule une compréhension correcte et
une action efficace, une coordination internationale s'impose.
"
Cette coopération est, comme on le
verra, également nécessaire pour mieux secourir
les Français expatriés en proie à des difficultés
avec les sectes.
Si cette coopération n'est
pas facile à mettre en oeuvre à l'échelle
internationale, elle devrait au moins exister au sein de l'Union
européenne. Or, aucune action particulière ne
semble exister dans ce domaine.
Il convient d'évoquer, à
cet égard, la création à Paris en 1994
de la Fédération européenne des centres
de recherche et d'information sur le sectarisme (FECRIS) dont
l'objet est, selon ses statuts, de " rechercher et informer
quant aux pratiques et aux effets du sectarisme destructeur
sur les individus, sur les familles et sur les sociétés
démocratiques ; de secourir les victimes ; de les représenter
en ces matières auprès des autorités civiles
et morales responsables, pour attirer leur attention et seconder
leur action " . Toutefois, cette association est trop récente
pour que l'on puisse tirer des conclusions de son action. En
toute hypothèse, il s'agit d'une initiative purement
privée et non une action concertée des Etats membres
de l'Union européenne.
Il serait donc souhaitable d'instaurer
une coopération intergouvernementale. Celle-ci commencerait
au moins entre les Quinze dans un premier temps. Elle reposerait
d'abord sur un échange d'informations et l'élaboration
de propositions.
Ce processus pourrait déboucher
ensuite sur des accords internationaux sur un certain nombre
de points clés.
C'est d'ailleurs ainsi que M. De Puig
concevait les choses dans son avis sur les sectes et les nouveaux
mouvements religieux, rédigé dans le cadre du
Conseil de l'Europe : " On peut faire beaucoup dans le
domaine de la coopération internationale pour augmenter
l'efficacité du contrôle des sectes et pour obtenir
des informations et les divulguer. Il serait donc désirable
de conclure les accords internationaux nécessaires à
cet effet. " .
Pour être efficaces, ces accords
devraient concerner : l'étude du phénomène
et l'échange d'informations grâce, notamment, à
une banque de données ; la coordination des dispositifs
de contrôle, compte tenu de la disparité des systèmes
juridiques ; la recherche des personnes poursuivies en justice
ou par l'administration ; la recherche des personnes disparues.
3.- Améliorer
le dispositif juridique
Si l'arsenal juridique permettant
de lutter contre les dangers que font courir les sectes aux
individus et à la société paraît
globalement adapté, il pourrait néanmoins être
complété ou modifié sur quelques points
de façon à rendre plus efficace la riposte contre
les dérives sectaires.
1. Entreprendre une étude
sur l'effet dissuasif des sanctions encourues par les sectes
et sur l'opportunité de les aggraver
Selon plusieurs avis recueillis par
la Commission, les peines et les indemnités pour dommages-intérêts
qu'encourent les sectes ne seraient pas suffisamment dissuasives.
Ainsi, par exemple, une personne qui
s'est exprimée devant commission, qui a eu plusieurs
procès avec des sectes, qu'elle a tous gagnés,
a calculé que le montant du préjudice qu'elle
avait subi directement du fait des sectes et qui n'a pas été
réparé s'élevait à environ 120.000
francs.
Il est difficile de se prononcer a
priori sur l'effet dissuasif des sanctions encourues par les
sectes et sur l'opportunité de les aggraver.
Malgré les travaux qu'elle
a menés, votre Commission ne s'estime pas en mesure de
se prononcer sur le caractère suffisamment dissuasif
ou non des sanctions encourues par les sectes, et, moins encore,
sur l'opportunité de les aggraver. Elle n'en est pas
moins encline à penser que la question mérite
sérieusement d'être posée.
Aussi, estime-t-elle qu'il serait
intéressant que l'observatoire dont la création
est préconisée fasse une étude approfondie
de cette question, suivie, le cas échéant de propositions.
2. Revoir le régime
de la diffamation
Certaines sectes sont, on le sait,
coutumières de la diffamation. Mais elle ne peuvent pas
toujours être poursuivies, donc moins encore condamnées.
En effet, comme la Commission l'a
constaté, certaines sectes ont trouvé un moyen
de contourner la loi concernant les règles relatives
à la prescription de cette infraction. L'article 65 de
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
dispose, rappelons-le, que " l'action publique et l'action
civile résultant des crimes, délits et contraventions
prévus par la présente loi se prescriront après
trois mois révolus à compter du jour où
ils auront été commis ou du jour du dernier acte
d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait.
" Or, ces sectes publient parfois des revues contenant
des articles diffamatoires, pour lesquelles elles satisfont
aux obligations de dépôt légal, mais sans
les distribuer, sauf éventuellement à un public
restreint; puis elles attendent trois mois pour procéder
à leur diffusion, ce qui leur évite d'être
attaquées.
Il parait souhaitable à votre
Commission de remédier à cet état de fait.
Une première possibilité
serait d'allonger le délai précité de trois
à six mois. Toutefois, cette solution présenterait
plusieurs inconvénients. D'abord, elle ne résoudrait
pas définitivement le problème : les organismes
en question attendraient alors six mois avant de procéder
à la diffusion. Toutefois, distribuer une revue six mois
après la date de publication qu'elle mentionne constituerait
sans doute une gêne. L'obstacle le plus sérieux
réside plutôt dans les difficultés à
la fois politiques et pratiques que soulèverait la modification
de la loi de 1881 sur la presse sur ce point. Serait-il opportun,
en effet, de toucher à une législation importante,
qui traduit un certain équilibre, et à laquelle
la presse est très attachée ? Il ne semble pas.
Une deuxième solution consisterait
à prévoir que la date à laquelle a été
commise la diffamation correspond à celle de la première
mise en distribution au public - au sens de grand public, par
opposition à un cercle restreint, sauf si celle-ci n'a
vocation qu'à être diffusée à un
tel cercle - de la publication qui la contient.
C'est d'ailleurs en ce sens que semble
évoluer la jurisprudence. En effet, il a été
jugé que l'accomplissement des formalités du dépôt
légal n'établit aucune présomption que
la publication ait eu lieu à cette date et ne doit être
tenu que comme un élément d'appréciation
(Cass. Crim. 1er juillet 1953, Bull. crim. no 228) ; que, d'autre
part, le point de départ du délai de prescription
de trois mois n'est pas la date portée sur la couverture
des exemplaires du numéro d'un hebdomadaire, mais celle
de sa publication effective résultant de sa mise en vente,
indépendamment de la date fictive portée sur la
couverture à des fins purement commerciales (Paris, 28
janvier 1977, D. 1978.IR.80).
Encore reste-t-il cependant à
préciser que cette distribution effective est bien celle
destinée au public. Votre Commission est encline à
penser que la meilleure solution est sans doute de laisser la
jurisprudence apporter cette précision.
3. Renforcer la protection
des experts mandatés auprès des tribunaux
Les experts mandatés auprès
des tribunaux ne sont sans doute pas aujourd'hui suffisamment
protégés.
Certes, l'article 434.8 du nouveau
code pénal prévoit-il que " toute menace
ou tout acte d'intimidation commis envers un magistrat, un juré
ou toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle,
un arbitre, un interprète, un expert ou l'avocat d'une
partie en vue d'influencer son comportement dans l'exercice
de ses fonctions est puni de trois ans d'emprisonnement et de
300.000 francs d'amende. " . D'autre part, l'article 222.12
du même code dispose que les violences commises sur, entre
autres, un magistrat, un juré, un avocat, un officier
public ou ministériel ou toute autre personne dépositaire
de l'autorité publique ou chargée d'une mission
de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de
l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, ayant entraîné
une incapacité totale de travail pendant plus de huit
jours sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 300.000
francs d'amende.
Toutefois, il n'est pas évident,
en premier lieu, que l'article 222.12 s'applique aux experts
judiciaires. Même si c'était le cas, cet article
présente deux limites principales : il faut qu'il y ait
eu des violences ayant entraîné une incapacité
de travail pendant plus de huit jours ; ces violences doivent
avoir été commises dans l'exercice ou à
l'occasion des fonctions. Ce qui signifie, dans le cas de violences
graves n'ayant pas provoqué cette incapacité et
de celles - quelle que soit leur gravité --commises lorsque
les fonctions sont définitivement terminées, à
titre, par exemple, de revanche, que l'expert ne bénéficie
d'aucune protection particulière.
S'agissant de l'article 434.8, il
ne couvre pas non plus l'hypothèse des mesures de rétorsion
à l'encontre de l'expert après l'avis ou le procès.
Selon les informations recueillies
par la Commission, l'absence d'une protection suffisante pour
les experts aurait au moins trois conséquences dommageables
:
- soit les experts en question renoncent
simplement à se prononcer sur des affaires susceptibles
de leur attirer ce type d'ennuis ;
- soit ils continuent de remplir ces
fonctions, mais ils prennent le risque d'en subir un préjudice
dont il n'est pas certain qu'ils pourront obtenir réparation
car il n'est pas toujours facile dans ce genre de situation
d'identifier le coupable et de prouver sa culpabilité
;
- enfin, on ne peut exclure qu'ils
puissent être amenés à édulcorer
leur compte-rendu ou à s'auto-censurer , ce qui serait
un grave obstacle au bon déroulement de la justice.
Votre Commission estime donc souhaitable
de renforcer la protection juridique dont bénéficient
les experts afin de les mettre autant que possible à
l'abri de toute pression ou de toute mesure de rétorsion.
On pourrait, pour ce faire, s'inspirer
des diverses dispositions protégeant actuellement les
magistrats. Il s'agit notamment des articles 222 et 223 (outrages
à magistrat), 227 (tentatives de pressions), 228 (violences
et voies de fait), 306 (menaces), 310 et 311 (coups et blessures)
et 434 (destructions, dégradations et dommages) du code
pénal.
4. Permettre aux associations
de défense des victimes de se porter partie civile.
Aucune disposition ne permet actuellement
aux associations de défense des victimes des sectes de
se porter partie civile dans des affaires concernant ces personnes.
Certes, ces associations ont parfois
réussi à se porter partie civile en s'appuyant,
lorsque l'objet de l'affaire le leur permettait, sur certaines
dispositions existantes. Ainsi, par exemple, l'article 2.2 du
code de procédure pénale prévoit-il que
" toute association régulièrement déclarée
depuis au moins cinq ans [] dont l'objet statutaire comporte
la lutte contre les violences sexuelles [] peut exercer les
droits reconnus par la partie civile [] " l'article 2.3
quant à lui, institue une possibilité similaire
pour les associations se proposant de défendre ou d'assister
l'enfance martyrisée.
Ce n'est donc que dans la mesure où
le cas d'espèce autorise les associations de défense
des victimes des sectes à se " glisser " dans
des dispositifs dont la finalité principale ne correspond
pas à leur objet spécifique qu'elles peuvent se
porter partie civile. D'ailleurs, deux associations ont fait
savoir à la Commission qu'il leur avait été
plusieurs fois refusé de se constituer partie civile
dans des affaires concernant des victimes de sectes.
Il serait pourtant utile de leur accorder
systématiquement ce droit. Et ce pour trois raisons principales
:
- ces associations pourraient mieux
s'associer aux victimes et les aider dans leurs démarches
auprès de la justice, notamment celles qui sont les plus
fragiles ;
- elles pourraient les suppléer
lorsque, pour des raisons diverses tenant notamment à
la crainte que leur inspirent les responsables de la secte elles
n'osent pas agir elles-mêmes ;
- elles pourraient enrichir l'information
des magistrats et les débats judiciaires par leurs interventions.
Accorder à ces associations
la possibilité de se porter partie civile dans les affaires
concernant les victimes des sectes pourrait se faire, soit en
ajoutant une disposition spécifique à la liste
des associations mentionnées aux articles 2.1 à
2.14 du code de procédure pénale, soit en prévoyant
à l'article 3 du code de la famille que les associations
de défense des familles bénéficient, au
même titre que l'Union nationale et que les unions départementales
des associations familiales, de ce droit.
5. Prévoir la transmission
à la préfecture du budget annuel et des comptes-rendus
d'assemblée générale des associations dont
le budget annuel est supérieur à 500.000 F.
Comme on l'a vu, certaines sectes,
non seulement exploitent financièrement leurs adeptes,
mais recourent à des moyens frauduleux tels que, par
exemple, la dissimulation de certaines ressources, l'utilisation
de sociétés ou d'associations écrans ou
la poursuite d'activités lucratives dans le cadre d'associations
déclarées.
Il conviendrait donc de soumettre
ces sectes à des obligations de transparence en matière
financière. Mais étant donné qu'il serait
difficile, pour des raisons déjà évoquées,
de réserver un sort particulier aux sectes, ces obligations
devraient être imposées à toutes les associations
à partir d'un certain niveau de budget.
Il paraît raisonnable à
votre Commission de prévoir que toutes les associations
dont le budget annuel est égal ou supérieur à
500.000 francs devront transmettre chaque année à
la préfecture de leur département une copie de
celui-ci ainsi que les comptes-rendus de leur assemblée
générale. Ce choix d'un seuil de 500.000 francs
constitue, semble-t-il, un bon équilibre entre le souci
de transparence financière et le souhait de ne pas engorger
les préfectures. Cette mesure ne concernerait de fait
qu'environ 16.900 associations sur un total estimé à
187.600, soit 9 % d'entre elles.
Les services fiscaux pourraient ensuite
exercer un contrôle sur ces documents de leur propre initiative
ou à la demande du préfet.
6. Créer un Haut conseil
des cultes composé de représentants des autorités
religieuses, scientifiques et administratives, chargé
de donner un avis conforme sur les demandes relatives à
la reconnaissance d'association cultuelle, voire celles concernant
l'obtention du statut de congrégation.
Plusieurs organismes considérés
communément comme des sectes demandent aujourd'hui à
bénéficier du statut d'association cultuelle prévu
par la loi du 9 décembre 1905.
La question se pose aujourd'hui de
savoir si le dispositif juridique existant est satisfaisant
pour faire face à ce type de demande.
On comprend bien qu'il serait dangereux
de reconnaître ce statut à des mouvements pseudo-religieux,
qui ne se présentent sous forme d'une religion que pour
mieux séduire, mais qui, en réalité, poursuivent
d'autres objectifs tels que l'enrichissement, le pouvoir ou
un quelconque intérêt personnel. La commission
a, sur ce point, été plusieurs fois alertée.
Ainsi, un des spécialistes qu'elle a entendus, au demeurant
l'un des plus mesurés, lui a déclaré :
" sur quoi prolifèrent les sectes ? Sur le silence,
sur leur côté dissimulé ; par le langage,
qui est celui du langage religieux. Il faut commencer par leur
refuser ce qu'elles demandent, à savoir un statut religieux,
ce qui serait le piège des pièges. L'argument
allégué serait un meilleur contrôle. Mais
pour le peu de contrôle que cela permettrait et que l'on
peut obtenir par d'autres moyens ! Rendez-vous compte du prestige
qui leur serait offert si on leur accordait un statut confessionnel.
Ce serait une véritable catastrophe. "
En revanche, rien n'est plus normal que
les mouvements religieux authentiques qui souhaitent être
reconnus comme association cultuelle et sont prêts à
se conformer à leur régime puissent en bénéficier.
Il convient donc que le bureau des
cultes du ministère de l'Intérieur puisse, sur
demande de l'organisme intéressé et après
examen de son dossier, délivrer directement ce statut.
Actuellement, la qualité d'association cultuelle n'est,
en effet, reconnue qu'indirectement aujourd'hui par le bureau
des cultes du ministère de l'intérieur ou les
préfectures à l'occasion d'une requête visant
à faire bénéficier une association des
libéralités prévues à l'article
19 alinéa 4 de la loi du 9 décembre 1905, ou des
articles 200 et 238 bis du code général de impôts,
qui permettent à leurs bienfaiteurs d'obtenir des déductions
d'impôt sur le revenu. Il semblerait nettement préférable
à votre Commission que la reconnaissance de cette qualité
fasse l'objet d'une procédure spécifique, sur
demande des organismes intéressés. C'est bien
entendu au bureau des cultes que devrait incomber le soin d'accorder
le statut d'association cultuelle. Mais compte tenu de la difficulté
qu'il y a souvent aujourd'hui à apprécier la nature
cultuelle d'une association, notamment lorsque celle-ci poursuit
des buts multiples, votre Commission estime qu'il serait nécessaire
que le bureau des cultes se prononce sur l'avis d'un conseil
de personnes compétentes pour en juger.
Elle propose donc de créer
un Haut conseil des cultes, qui serait composé d'une
trentaine de personnes nommées par le Premier ministre.
Il comprendrait un tiers de représentants des différentes
religions reconnues, un tiers de personnalités témoignant
d'une compétence incontestable dans le domaine des religions
et d'un tiers de représentants des différentes
administrations intéressées (bureau des cultes
et bureau des libertés publiques du ministère
de l'Intérieur, Direction centrale des Renseignements
généraux, Direction de l'action sociale, ministère
de l'Education nationale, etc...). Son avis s'imposerait au
bureau des cultes.
Il conviendrait, en conséquence,
d'amender légèrement la loi du 9 décembre
1905 en indiquant que la qualité d'association cultuelle
est reconnue par le ministère de l'Intérieur sur
avis conforme du Haut conseil des cultes composé selon
les modalités définies ci-dessus.
Le même problème pouvant
se poser pour les demandes relatives à l'obtention du
statut de congrégation, il est proposé, afin d'assurer
un parallélisme des procédures, que la reconnaissance
légale de ce statut soit accordée, non pas par
décret sur avis conforme du Conseil d'Etat, comme le
prévoit aujourd'hui l'article 13 de la loi du 1er juillet
1901 relative au contrat d'association, mais par décret
sur avis conforme du Haut Conseil des cultes.
5.- Aider
les anciens adeptes
Il est, certes, important de prévenir
les dangers que font courir les sectes et de mieux les combattre.
Mais il faut aussi aider les anciens adeptes, dont certains
ont vécu, parfois pendant plusieurs années, quasiment
voire totalement coupés de la société,
que cet isolement soit physique ou seulement mental. Aussi,
après leur sortie de la secte, rencontrent-ils généralement
de grandes difficultés de réinsertion dans la
société. En même temps, ils ignorent le
plus souvent à qui s'adresser pour se faire aider dans
cette entreprise. Votre Commission pense qu'il serait donc nécessaire
qu'ils puissent disposer d'un interlocuteur privilégié
au sein de l'administration. Par ailleurs, une attention particulière
doit être portée à la situation des anciens
adeptes à l'étranger.
1. Instituer dans chaque département
un responsable pour l'aide aux anciens adeptes.
De façon à ce que les
personnes venant de quitter une secte puissent se renseigner
facilement sur les services publics, qu'ils ne connaissent généralement,
pas, votre Commission propose qu'un responsable pour l'aide
aux anciens adeptes soit nommé dans chaque département,
soit par le Préfet, soit par le Président du Conseil
général - le choix de l'autorité de nomination
ne change pas fondamentalement la réponse apportée
au problème. Il convient que cette personne, que cette
fonction n'occuperait pas nécessairement à plein
temps, ait une bonne connaissance du phénomène
sectaire et de l'administration publique. Elle aurait pour mission
d'étudier l'évolution des mouvements sectaires
dans son département ainsi que les problèmes posés
aux victimes, d'accueillir celles-ci et de les orienter vers
les services administratifs et les associations susceptibles
de résoudre leurs difficultés. Elle rendrait compte
de ses études et de ses activités à son
autorité de nomination ainsi qu'à l'observatoire
des sectes dont la création est proposée par ailleurs.
Elle pourrait d'ailleurs se tourner vers cet organisme pour
obtenir des informations, voire des conseils.
2. Secourir plus efficacement
les adeptes expatriés qui le souhaitent.
Selon diverses sources, le nombre
de Français appartenant à une secte et vivant
à l'étranger serait assez important, sans que
l'on ait le moyen de le chiffrer avec une précision même
approximative. Mais c'est un fait avéré que plusieurs
sectes ont une dimension internationale et n'hésitent
pas, comme, par exemple, Moon ou l'Eglise de la scientologie,
à envoyer à l'étranger des adeptes recrutés
en France. De plus, on ne peut oublier que certaines organisation
poursuivies par la justice ou l'administration ont quitté
le territoire national.
Or, ces personnes sont souvent dans
une situation encore plus précaire que les adeptes résidant
sur le territoire français, se trouvant dans un environnement
qui leur est peu familier, et isolés de leur famille
et de leurs anciennes relations.
Les services diplomatiques et consulaires
apportent aujourd'hui une aide substantielle pour retrouver
des personnes disparues et pour les rapatrier.
La Direction des Français à
l'étranger du ministère des Affaires étrangères
tente chaque année de répondre à plusieurs
centaines de demandes de renseignements de familles au sujet
de personnes disparues. Cependant, les postes diplomatiques
et consulaires dépendent souvent étroitement de
la bonne volonté et de l'efficacité des autorités
locales pour obtenir une réponse. De plus, quand bien
même la personne disparue serait retrouvée, si
celle-ci ne souhaite pas qu'on divulgue son adresse, le ministère
des Affaires étrangères est obligé de se
conformer à ce voeu en application du principe de respect
de la vie privée. La moitié des personnes retrouvées
expriment d'ailleurs ce souhait.
D'autre part, le ministère
dispose d'une ligne de crédit de l'ordre de 5 millions
de francs pour assurer des rapatriements sanitaires et d'urgence
ainsi que pour des personnes indigentes. Le ministère
demande aux familles de financer les autres formes de rapatriement.
Deux mesures seraient susceptibles
d'améliorer l'action des pouvoirs publics dans ce domaine.
En premier lieu, il conviendrait,
dans le cadre du renforcement de la coopération internationale
évoquée plus haut, que la France obtienne d'un
nombre de pays aussi important que possible la garantie d'une
collaboration soutenue pour ce genre de problèmes. Aucun
pays, il est vrai, n'a intérêt à voir se
développer sur son territoire une organisation illégale
et dangereuse.
Deuxièmement, nos services
diplomatiques et consulaires pourraient, dans ce cadre, accroître
leurs contacts et leurs liens avec les autorités locales
susceptibles de les aider dans la recherche de personnes disparues.
CONCLUSION
Difficile à définir,
peu aisé à mesurer, impossible à saisir
dans sa globalité, le phénomène sectaire
n'en constitue pas moins une réalité tangible
du monde contemporain : l'expression de multiples mouvements
spirituels distincts des religions traditionnelles et caractérisés
par des croyances et des pratiques spécifiques.
De fait, il est étroitement
lié aux grands problèmes qui se posent aux sociétés
actuelles, qu'il s'agisse du déclin des religions traditionnelles,
de la mutation des structures familiales, de la remise en cause
des valeurs morales, de la place du politique ou de la crise
économique et sociale. Il en est même, d'une certaine
façon, le reflet.
Si sa diversité et sa complexité
empêchent de rendre compte avec précision de son
évolution quantitative et qualitative, les recherches
effectuées montrent qu'il s'est amplifié au cours
de la dernière décennie en France et à
l'étranger. Et ce, tant en nombre d'organismes que d'adeptes
et de sympathisants. En même temps, il présente
des formes plus variées, il met en oeuvre des techniques
plus sophistiquées et dispose de moyens financiers accrus.
Les adeptes, en nombre croissant,
s'engagent souvent totalement, jusqu'à perdre une partie
de leur identité. Et c'est là que le risque de
déviation devient grave, quand l'engagement et la confiance
absolue conduisent à ne pas se soigner, à couper
les liens avec la famille, à donner tout l'argent dont
on dispose. L'intervention des pouvoirs publics s'impose quand
l'engagement conduit à une dépendance psychologique
qu'exploitent des dirigeants à leur propre profit.
Les décisions judiciaires rendues
ces dernières années montrent bien que nombre
d'entre eux se rendent coupables de délits, pouvant aller
de la tromperie ou de la fraude aux mauvais traitements, aux
coups et blessures et à la séquestration. De surcroît,
les informations fournies à la Commission et les témoignages
qu'elle a reçus ne laissent pas de doute sur le fait
que les affaires révélées par la justice
ne rendent compte que d'une partie des dangers que font courir
les sectes, qui sont en fait à la fois plus nombreux,
plus étendus et plus graves.
L'Etat ne peut, à l'évidence,
laisser se développer en son sein ce qui, à beaucoup
d'égards, s'apparente à un véritable fléau.
Rester passif serait, en effet, non seulement irresponsable
à l'égard des personnes touchées ou susceptibles
de l'être, mais dangereux pour les principes démocratiques
sur lesquels est fondée notre République.
Votre Commission estime donc indispensable
de réagir. Cela étant, il lui est apparu que la
meilleure façon de riposter au développement des
sectes dangereuses n'est sûrement pas la plus spectaculaire,
sous la forme d'une législation anti-sectes que l'ampleur
de notre arsenal juridique ne rend pas nécessaire et
qui risquerait d'être utilisée un jour dans un
esprit de restriction de la liberté de pensée.
L'essentiel, selon elle, est bien d'utiliser pleinement les
dispositions existantes, leur application systématique
et rigoureuse devant permettre de lutter efficacement contre
les dérives sectaires. Pour y parvenir, il est d'abord
nécessaire de mieux connaître- ce que permettrait
la création d'un observatoire ad hoc - et, surtout, de
mieux faire connaître le phénomène et les
dangers qu'il peut recéler. D'autre part, il faut s'attacher
à ce que les institutions chargées d'appliquer
le droit dans ce domaine y soient sensibilisées. En outre,
certains aménagements à la législation
existante paraissent souhaitables pour mieux tenir compte de
l'évolution des associations sectaires. Enfin, il est
important que les anciens adeptes puissent être aidés
à se réinsérer dans la société.
Toutes mesures qui, selon votre Commission, devraient être
mises en oeuvre dans les meilleurs délais . Nous ne nous
sentons pas en France menacés par une tragédie
de type Waco, voire un attentat du genre de celui perpétré
par la secte Aoum dans le métro de Tokyo au printemps
dernier. Mais les germes de tels drames existent sur notre territoire,
et la prévention s'impose.
Cela dit, il faut être lucide
: les mesures proposées ici ne suffiront probablement
pas à elles seules à faire disparaître ces
dangers. Reflet des difficultés du monde actuel, symptôme
d'un profond malaise social, image d'une crise morale autant
que civique, le phénomène sectaire appelle aussi,
en effet, une réponse globale à l'ensemble des
grands problèmes de l'époque contemporaine.
La Commission a examiné le présent
rapport au cours de sa séance du 20 décembre 1995
et l'a adopté à l'unanimité. Elle
a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le
Président de l'Assemblée nationale afin d'être
imprimé et distribué, conformément aux dispositions
de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.
|